Un été avec Cervantes
D’une audace inouïe, Don Quichotte est un immense roman d’hier à lire avec les yeux d’aujourd’hui.
J’ai lu Don Quichotte très tôt. Tous ceux qui, comme moi, sont passé à côté de ce texte éternel pour avoir rencontré trop jeune le chevalier de la Mancha devraient lire le livre que lui consacre William Marx (Un été avec Don Quichotte, Éditions de l’Équateur, mai 2024). Et reprendre cet immense roman d’hier avec les yeux d’aujourd’hui.
Cervantes fut beaucoup plus qu’un des grands auteurs de la littérature moderne. Il fut l’un de ses grands explorateurs. Dans le petit ouvrage de Marx (William, pas Karl !), les mésaventures de cet antihéros de chevalerie sont dévoilées comme on parcourt un labyrinthe, un jeu de miroirs : farce tragique, chant de liberté, parodie de son temps, révolte contre les dogmes, rêve de transcendance, va et vient entre le réel et le virtuel, leçon de magie, récit épique, manuel de survie….
L’œuvre est d’une audace inouïe. Son réalisme apparent cache des vertiges. Sa fausse naïveté masque une ironie amère… Mais on ne change pas le monde juste en rigolant.
En des temps cruels (nous sommes au début du XVIIe siècle et rôde encore l’Inquisition), le conteur jouait avec le feu en faisant l’éloge de la bonté et de la justice. Il fallait alors de l’audace pour dénoncer comme fous les hommes les plus sages et décrire comme sages les hommes les plus fous. Homère pensait que les Dieux nous envoyaient des épreuves pour inspirer nos chants. Cervantes voulait, par le chant, aider les hommes à affronter leurs épreuves.
Le manchot de Lepante (Cervantes a perdu un bras dans la bataille de 1571) mérite plus que jamais d’être revisité. Surtout aujourd’hui, quand il fait dire au Chevalier à la triste figure : « Oui, je suis peut-être fou… mais moins que la société où nous vivons ! »