Un ippon contre les mollahs

par Jérôme Clément |  publié le 21/09/2024

Ce pourrait être un film sur le judo. C’est un drame poignant et un réquisitoire implacable contre le régime de Téhéran.

Les réalisateurs Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv au 80e Festival international du film de Venise le 02 septembre 2023, pour le film "Tatami". (Photo de John Phillips / Getty Images via AFP)

Tout est hors du commun dans ce film. D’abord les réalisateurs. Lui, Guy Nattiv est né en Israël, il y a 51 ans et vit désormais aux États Unis. Il a été récompensé dans les deux pays pour « Skin », qui a notamment gagné un oscar pour les courts métrages, avant de devenir un long métrage. Zar Amir Ebrahimi est iranienne, actrice et productrice, prix d’interprétation à Cannes en 2022, pour « Les nuits de Mashhad ». Trés connue en Iran, elle a dû fuir son pays pour une implication peu claire dans une affaire de « sextape ». Menacée de la prison et du fouet, elle vit désormais en France, naturalisée française, très liée avec Golshifteh Faharani, actrice, chanteuse et militante, mêlée à tous les combats pour le soutien des femmes en Iran.

Tatami est un film américano-géorgien, tourné à Tbilissi : une judoka iranienne, Leila Hosseini, participe aux championnats du monde. Elle et son entraîneuse, Maryam Ganbhari, convoitent la médaille d’or à la portée d’ippon de Leila. Ce serait oublier la fédération iranienne : elle refuse que Leila poursuive la compétition par risque d’être confrontée à une judoka israélienne en finale. Impossible à une Iranienne de toucher une Israélienne. Son entraîneuse qui a vécu la même situation dans le passé la pousse à renoncer. Leurs familles sont menacées et l’affaire remonte au Guide Suprême… on ne vous raconte pas la suite, le film rend parfaitement les déchirements de ces femmes outragées dans leurs vies familiales et professionnelles.

Tension extrême des combats sur le Tatami, manœuvres de couloir sous le regard et l‘action de la Fédération internationale de judo, le film traduit les sentiments contradictoires qui traversent ces femmes et nous emporte dans leur drame. La violence des coups subis ou assénés sur le tapis n’est rien en comparaison de ceux, psychologiques, qui sont donnés à ces femmes par les autorités iraniennes. Filmées en gros plan, en noir et blanc, les visages de Zar Amir Ebrahimi et d’Arienne Mandi sont magnifiques de retenue, de beauté et de courage, face à ceux qui les étouffent et veulent symboliquement les tuer.

Sport et politique doivent-ils être mêlés ? Il est facile de répondre non, mais la vie rappelle à la réalité. Tout est politique, à commencer par cette production entre un Israélien et une Iranienne pour réaliser un film qui trouve la ligne juste entre la recherche de l’exploit sportif -travail de toute une vie de sacrifices personnels et familiaux – le message politique, et un indéniable talent artistique. Tatami pourrait être un film sur le judo, tant il montre l’épuisement et la danse des corps, l’effort mental et physique des athlètes. Il aurait pu chercher à nous asséner la torture infligée aux femmes par les bureaucrates misogynes iraniens. Il réussit l’exploit de fusionner ces différents thèmes et nous tenir en haleine avec virtuosité ; pour nous rappeler que le sport, comme l’art sont, dans la cité, éminemment politiques.

Tatami, un film de Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv

Jérôme Clément

Editorialiste culture