Un ministre, ça ouvre sa gueule et ça ne démissionne pas
François Bayrou a inventé une nouvelle pratique sous la Vème République, le parlementarisme gouvernemental. Les ministres expriment leurs divergences en toute liberté. Pour le meilleur et pour le pire.
Jean-Pierre Chevènement s’était appliqué à lui-même une règle d’or : un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Il avait claqué la porte deux fois. Dans le régime instauré par le général de Gaulle, plus question de cultiver la discorde, péché mignon de la IVème République. Au Parlement, silence dans les rangs, c’est l’ère des godillots et du parlementarisme rationnalisé. Au gouvernement, c’est le petit doigt sur la couture du pantalon. Fausses notes interdites sous peine d’être congédié.
Aujourd’hui, c’est la « polyphonie » assumée, selon la porte-parole du gouvernement Sophie Primas. Pas question de déplorer une cacophonie. François Bayrou a nommé poids lourds et légers avec autorisation de l’« ouvrir ». C’est même encouragé. L’orchestre de solistes relaie les différentes aspirations des soutiens composites du socle commun et au-delà. Du social-démocrate Eric Lombard jusqu’au conservateur Bruno Retailleau, on trouve toutes les nuances du spectre républicain. Chacun porte ses convictions en bandoulière. Sous l’œil du Béarnais qui joue au président arbitre.
Sur la plupart des sujets en débat, des sensibilités s’opposent. C’est sur le droit du sol que se sont manifestées les oppositions les plus vives. Les ministres les plus droitiers, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, réclament une restriction de ce principe jusqu’en métropole, le second réclamant même un référendum sur le sujet. Désaccord total de leurs collègues venus de la gauche, Elisabeth Borne, Eric Lombard et même Manuel Valls qui, dans la Tribune dimanche, a rangé le droit du sol parmi les principes fondateurs de la République.
Sur les questions économiques et sociales, on retrouve des clivages plus nuancés mais réels. Quand la ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet, bien vue des syndicats, propose de mettre à contribution les retraités les plus aisés pour financer le quatrième âge, ses collègues se rebiffent, pensant à leurs électeurs seniors. A l’inverse, quand Catherine Vautrin, une macroniste venue de LR, relaie l’idée des sénateurs d’heures non payées pour réduire le déficit, il y a levée de bouclier chez les progressistes, à commencer par Eric Lombard, contre tout projet de travail gratuit.
Sur la fin de vie, cas délicat entre tous, la même Catherine Vautrin n’a pas hésité à monter au créneau contre la méthode Bayrou de scinder le texte en deux, une initiative soufflée par l’aile conservatrice incarnée par le très catholique Retailleau Le Premier ministre, au désespoir des partisans de l’aide à mourir, et malgré les objections d’Emmanuel Macron, a imposé que les soins palliatifs et le suicide assisté aient chacun leur projet de loi. Il l’a fait acter en début de semaine en conférence des présidents de l’Assemblée nationale.
Malgré ces divergences ouvertement exprimées, le char gouvernemental avance bizarrement assez bien. Pour l’instant, la méthode Bayrou marche, ses arbitrages s’efforçant de se situer au point qui réunit le mieux ses troupes. Ceux qui n’ont pas gain de cause ont au moins la satisfaction d’avoir pu défendre leur opinion sans se voir réprimandés, ni menacés d’être démissionnés. Un mini-parlement vit au niveau du gouvernement, l’hôte de Matignon se réjouissant de ce fonctionnement : « J’ai fait le choix de nommer des poids lourds qui ont des convictions, confie Bayrou, je ne le regrette pas. Bien sûr, j’interviens pour que cela n’aille pas trop loin. Mais au total, c’est positif ».
Avec sa formule inédite, le Béarnais risque de donner l’impression de désordre. La polyphonie ne produit pas toujours une musique harmonieuse. Mais c’est aussi une manière de se protéger contre des accusations de caporalisme et de pouvoir vertical, qui ont visé l’Élysée jusqu’à la dissolution. Et d’apparaître tolérant à un moment où les passions s’exacerbent. Des travaux pratiques pour la suite. On imagine déjà François Bayrou, s’il est en situation d’être candidat en 2027, commencer sa campagne par un « Moi, Président, je serai à l’écoute… »