Un pensum prétentieux contre la République

par Laurent Joffrin |  publié le 04/09/2024

Dans Les derniers jours du Parti socialiste, Aurélien Bellanger retrace de manière paranoïaque et fallacieuse l’histoire du Printemps républicain, à qui il impute la chute du PS et la mutation de la laïcité en doctrine raciste. Rien que ça…

D.R

Le romancier a tous les droits, fort heureusement. Mais le critique aussi. Ainsi quand le romancier s’autorise à diffamer tel ou tel, même en changeant son nom, à falsifier l’histoire politique, à infliger au lecteur un pensum à clés, dont la thèse est farfelue et les clés mystérieuses au profane, le critique est fondé à écrire que le roman est un long sophisme plutôt grossier, que son style est soporifique et que son argument est à la fois insultant et paranoïaque. 

Le titre est déjà malencontreux : Bellanger annonce la disparition du PS au moment où celui-ci vient d’arriver en tête de la gauche aux Européennes et de gagner une quarantaine de députés à l’Assemblée nationale. Certes il est encore convalescent ; mais ses « derniers jours » risquent fort de durer plus longtemps que ce faire-part de décès indigeste. Plus longtemps, également, que l’idée même du livre, digne de l’extrême-gauche décoloniale la plus sommaire : en créant le Printemps Républicain, Laurent Bouvet, ancien socialiste d’un républicanisme intransigeant, se serait changé en fourrier du racisme.

Disparu depuis, au terme d’une terrible maladie qui n’empêche pas Bellanger de le calomnier post-mortem, Bouvet, rebaptisé Grémond, aurait fait du Printemps Républicain, l’association qu’il avait créée, une entreprise d’infiltration et d’influence subreptice destinée à diffuser partout, surtout à gauche, une « islamophobie » qui le range ni plus ni moins à l’extrême-droite. En changeant les patronymes, à tel point qu’on finit par se lasser de deviner de qui on parle, en mélangeant le vrai et le faux pour dénigrer un peu plus ses personnages, que Bellanger manifestement déteste, l’écrivain raconte un complot pervers qui tient moins de Gramsci, théoricien du combat culturel, que de Rocambole.

On peut certes ne pas aimer le Printemps républicain, considérer que sa défense de la laïcité est trop raide, juger sa théorie de « l’insécurité culturelle » qui affecterait les classes populaires contestable et remarquer que certains de ses animateurs, venus de la gauche, se retrouvent chez Macron où au sein de la droite française. Mais c’est une facilité sectaire et diffamatoire que de les transformer en agents du racisme contemporain.

Un seul exemple : le romancier embringue dans cette lourde fable Charlie Hebdo et Caroline Fourest (Véronique Bourny dans le roman) également suspects de connivence avec les faux-nez de l’extrême-droite. Quand on sait l’hostilité suscitée au sein des mouvements conservateurs ou d’extrême-droite par l’un et l’autre, et les combats qu’ils n’ont cessé de mener contre les nationalistes, on se pince devant la mauvaise foi de l’auteur-délateur, même déguisée en licence littéraire. 

La laïcité raciste ? C’est ne rien comprendre à la loi de 1905, qui postule la neutralité de l’État mais garantit la liberté de conscience et de culte. Quant à lutter contre l’islamisme, doctrine obscurantiste et oppressive, c’est la moindre des choses pour des républicains. L’assimiler au racisme ou à « l’islamophobie », c’est rejoindre les intégristes de l’islam, qui considèrent, comme Zemmour, qu’il n’y pas de différence entre les musulmans et les islamistes. Le raisonnement va plus loin, qui sous-tend en fait le livre : la République, en prétendant à l’universalisme, nierait les oppressions dont sont victimes les minorités, au premier rang desquelles les musulmans en France. L’ennui, c’est que la République ne nie rien du tout, passe des lois et mène des politiques destinées à lutter contre lesdites discriminations, tout en refusant d’adopter la vision communautaire de la société en vigueur aux États-Unis et obsessionnelle dans le cerveau confus des « décoloniaux ». Crime impardonnable aux yeux de Bellanger, qui en tire un pamphlet cuistre qui manque son but à force d’allusions confuses. Il croit évoluer dans les hautes sphères de l’histoire des idées ; il ne fait que viser bas pour rater sa cible.

Aurélien Bellanger – Les derniers jours du Parti socialiste, Seuil 472 pages  

Laurent Joffrin