Un populiste antisémite

par Laurent Joffrin |  publié le 07/01/2025

Jean-Marie Le Pen aura été le premier leader dans une démocratie à remettre sur le devant de la scène les idées discréditées par la guerre et l’Occupation et à les promouvoir avec les méthodes du populisme moderne.

Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du Front National, donne une conférence de presse, le 08 mars 2011 à Saint-Avold, en vue des élections cantonales. (Photo JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

À la fin des années soixante-dix, il était encore un leader marginal, avec moins de 1% à l’élection présidentielle de 1974. En petit comité, il ne s’embarrassait guère de précautions, corsaire fort en gueule de l’extrême-droite arborant un bandeau sur l’œil. À tout propos, il vitupérait « l’influence juive », le B’nai Brith, association juive qu’il érigeait en puissance mondiale et contestait ouvertement le génocide perpétré par les nazis, rangeant la persécution des juifs parmi les multiples horreurs de la guerre qui touchaient un peu tout le monde.

Ancien de l’Indochine, de l’Algérie française, du poujadisme, pourfendeur du bolchevisme et de la décadence occidentale, il conservait au fond, intacts dans son discours, les clichés réprouvés du nationalisme des années trente, au premier plan desquels la détestation des Juifs. Si bien que la condamnation générale de l’héritage de la Collaboration le maintenait dans l’obscurité, connu surtout pour son bandeau, en dépit d’une carrière déjà bien remplie de militant étudiant, de député poujadiste et de chef de parti groupusculaire.

Pour émerger, il usa de trois atouts. Son talent oratoire, indiscutable, née d’un phrasé sûr, de boutades faciles et d’une langue classique qu’il ornait volontiers de références littéraires. C’est cette qualité qui avait incité Alain Robert, chef de l’extrême-droite de l’époque, à le propulser à la tête du Front national en 1974, coalition visant à rassembler les courants épars de la droite radicale et nationaliste dans une formation unitaire. Le Pen en distillait les thèmes avec savoir-faire, se distinguant des fachos du mouvement étudiant par sa stratégie électorale, qui lui semblait la plus adaptée dans une démocratie installée, plutôt que les tentations putschistes cultivées par les crânes rasés de l’extrême-droite activiste.

Sa fortune, ensuite, miraculeusement léguée par l’héritier Lambert qui lui vouait une admiration sans borne et lui permit de gagner son indépendance financière en même temps que de jouir d’un hôtel particulier spacieux dans le parc de Saint-Cloud. Face à ses concurrents en nationalisme qui ne cessaient de le contester, le trouvant trop légaliste, il détenait une arme décisive, l’argent, qui soutenait à la fois un mode de vie confortable et des moyens de propagande supérieurs à ceux de ses rivaux.

Son instinct de démagogue, enfin, qui lui fit découvrir l’efficacité des sorties provocatrices propres à attirer sur lui le feu des médias où il s’ébrouait avec délectation. Un Trump avant Trump, en somme, qui se servait de l’outrance pour se placer au centre du jeu. Son vieil antisémitisme lui servit de matrice, déclenchant des scandales nationaux qui le mettaient sur le devant de la scène, telles ses sorties sur les chambres à gaz, « point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale », « Durafour crématoire », « l’occupation allemande pas particulièrement inhumaine », etc. qui lui valurent plusieurs condamnations et une notoriété soudain décuplée. On parlait de dérapage inadmissible. On avait tort : ces saillies étaient aussi l’expression d’une conviction profonde. Lors d’un de ses derniers anniversaires, il citait encore Robert Brasillach, collabo ultra dont le journal « Je suis partout » appelait à la dénonciation des Juifs et à l’alliance officielle avec le nazisme.

Prenant l’immigration comme cheval de bataille, il sut enfin mettre à profit l’inquiétude des classes populaires face à la mondialisation pour hisser son parti parmi les acteurs importants de la vie française. On le dénonça à juste titre, en fustigeant ses idées antirépublicaines pour ériger autour de lui un « front républicain » qui maintint le FN dans son isolement. Mais on négligea de trouver des remèdes aux maux qui lui permettaient de prospérer. Si bien que l’héritage Le Pen, où sa fille mis en sourdine les provocations initiales pour se concentrer sur l’immigration, l’insécurité et la précarité sociale, s’est changé en menace tangible sur la démocratie française.

Laurent Joffrin