Une parade militaire en cadeau d’anniversaire

par Sébastien Lévi |  publié le 13/06/2025

Une impressionnante parade militaire se tiendra dans les rues de Washington samedi 14 juin. Elle célèbre le 250ème anniversaire de la création de l’armée de Terre américaine. Cette démonstration de force que Donald Trump désirait depuis longtemps tombe exactement le jour de son 79ème anniversaire…

Le gouverneur du Minnesota, Tim Walz (à droite), court devant un véhicule de combat Stryker de l'armée américaine sur le National Mall, avant le défilé militaire et les célébrations du week-end, le 12 juin 2025 à Washington. L'armée célébrera son 250e anniversaire samedi, jour de l'anniversaire de Donald Trump, par un défilé qui réunira 6 500 soldats, 150 véhicules et 50 avions, pour un coût compris entre 25 et 45 millions de dollars. (Photo de Chip Somodevilla / Getty Images via AFP)

Après avoir assisté, à l’invitation du président Macron nouvellement élu, au défilé militaire sur les Champs-Élysées le 14 juillet 2017, le président Trump, impressionné, avait émis l’idée d’organiser un défilé similaire à Washington. Le secrétaire à la défense de l’époque, l’ancien général Jim Mattis, confia plus tard qu’il préférait avaler du cyanure que de mettre en place cette toquade aussi saugrenue que dangereuse, et surtout très éloignée du rôle dévolu à l’armée aux États-Unis. Pour Mattis, l’idée de voir des troupes défiler dans la capitale américaine en temps de paix était inepte, et il fut capable de noyer le poisson en attendant que Trump abandonne le projet et passe à autre chose, ce qui fut le cas.

Trump voit l’armée non pas comme un instrument pour protéger les États-Unis des ennemis extérieurs, mais comme un signe de pouvoir, voire sa garde prétorienne personnelle, et il parle d’ailleurs des généraux américains comme de « ses » généraux.

Ayant lui-même échappé à ses obligations militaires pendant la guerre du Vietnam, sous un faux prétexte de santé (comme de nombreux américains privilégiés), il n’intègre pas la notion de dévouement et de sacrifice, comme en attestent ses commentaires au cimetière militaire en France où il devait dire, devant le secrétaire général de la présidence, John Kelly – dont le fils était mort au combat – qu’il ne comprenait pas ce que ces soldats morts pour le pays avaient « retiré » de ce sacrifice ultime. Dans son approche transactionnelle et de pouvoir personnel, si l’armée doit « servir » à quelque chose, ce n’est pas à défendre le pays, mais à le servir lui-même, contre ses ennemis (comme les manifestants) et pour sa gloire.

Homme de télévision fasciné par les hommes forts, le défilé militaire incarne sa vision de Caudillo avec une armée à sa gloire. C’est à cet aune qu’il faut comprendre la volonté de Trump de voir se dérouler cette parade, et ses menaces de réprimer chaque manifestation qui s’y opposerait, le tout dans une approche typiquement autocratique et antidémocratique.

Il est d’ailleurs très symbolique que ce défilé ait lieu quelques jours après le déploiement de la Garde Nationale et de Marines dans les rues de Los Angeles. Dans les deux cas, Trump utilise l’armée comme le signe de sa force et de son pouvoir, loin de son rôle traditionnel, et en contradiction avec sa mission qui est de ne pas intervenir contre des citoyens américains. Il importe d’ailleurs de rappeler que lors des manifestations suite à la mort de George Floyd, Trump avait enjoint son secrétaire à la défense de l’époque, Mark Esper, de faire intervenir l’armée et demandé au chef d’état-major, Mark Milley, de faire tirer sur les manifestants. Les deux hommes avaient, comme Jim Mattis en son temps, été capables de ne pas donner suite à ces instructions présidentielles.

Dans l’imaginaire démocratique américain, avec sa défiance originelle envers la figure du roi, l’armée n’a rien à faire dans les rues d’une grande ville en temps de paix, et en ce sens cette parade symbolique est un marqueur de plus dans la révolution du modèle américain sous Trump. Comme souvent avec Trump, le côté puéril voire ridicule, celui d’un enfant heureux d’exposer au monde entier ses jouets le jour de son anniversaire, cohabite avec un dessein beaucoup plus inquiétant et une entorse majeure aux traditions démocratiques américaines.

À l’heure où Trump fera défiler l’armée américaine à sa propre gloire, des manifestations auront d’ailleurs lieu dans tout le pays avec comme mot d’ordre « No Kings » (Pas de roi), symbole éclatant du fait que la mise en scène de l’armée et son instrumentalisation cachent (mal) une intention d’altérer très profondément la nature démocratique des États-Unis et de remettre en cause son modèle instauré depuis 250 ans.

SEBASTIEN LEVI

Sébastien Lévi

Correspondant aux États-Unis