Une rentrée surréaliste

par Jérôme Clément |  publié le 17/09/2024

Il y a cent ans, André Breton lançait le mouvement qui a bouleversé la scène artistique : le surréalisme fait l’objet d’une formidable exposition au Centre Pompidou.

Précédente exposition des artistes surréalistes Salvador Dali et Man Ray au Centre Pompidou (alias Beaubourg) le 19 novembre 2012 à Paris. (Photo de FRANCOIS GUILLOT / AFP)

C’est l’événement de cette rentrée parisienne : Breton, Picabia, Man Ray, Dali, Magritte ont envahi le Centre Pompidou ainsi que cinquante galeries et librairies dans Paris, pour célébrer le centième anniversaire de cette révolution qui a eu une influence majeure sur l’art du XXe siècle dans toute l’Europe, de la Tchécoslovaquie à la Scandinavie, mais aussi sur le continent américain, du Mexique aux États-Unis.

Il y a cent ans, en 1924 donc, André Breton publiait le manifeste du surréalisme, terme inventé pour rendre compte des phénomènes de l’inconscient qui donnent lieu à des expressions artistiques spontanées. L’écriture automatique, les cadavres exquis, succession de phrases ou de mots écrits par différentes mains sans souci de cohérence, les peintures spontanées d’André Masson notamment, sont des témoignages, parmi beaucoup d’autres, de cette recherche constante de formes et d’expressions nouvelles et du refus de se laisser enfermer dans une catégorie. La révolte et la rébellion comme principe de vie ? Non, la Révolution! Le surréalisme revendique à la fois l’héritage de Marx- transformer le monde – et celui de Rimbaud – changer la vie. Vaste programme !

L’exposition dont le commissaire principal est Didier Ottinger, a choisi de présenter les œuvres par thème et non sur le mode chronologique : chimères, mélusine , forêts, rêve, érotisme, cosmos, Alice… Autant de noms d’œuvres ou de sujets qui permettent de découvrir ou de revoir les principaux artistes et écrivains qui se sont réclamés du surréalisme. Masson, Picabia, Miro, Man Ray, Max Ernst, Dali, Brauner, Magritte, pour les premiers, Vacher, Prévert, Artaud, Aragon, Breton, Char et beaucoup d’autres pour les seconds, tant le surréalisme s’est étendu dans le temps – jusqu’à la mort de Breton en 1966 – et dans l’espace, donnant naissance un peu partout à des créations majeures et des artistes en rupture de ban. Choix de présentation très riche, pas toujours simple pour comprendre le sinueux parcours d’un mouvement qui n’a cessé de se modifier, ruptures et renouvellements de succédant à un rythme accéléré…

Cette nouvelle présentation a le mérite de mettre en valeur les femmes – Carrington, Tanning, Varo, Lundeberg, Martins et beaucoup d’autres – qui ont joué un rôle éminent, enfin remis à sa juste place. Le surréalisme est-il lié à la politique? Né en réaction à la guerre de 14-18, le mouvement est d’abord une rupture avec son temps. Le procès Barrès, nationaliste haï, et l’enterrement d’Anatole France, écrivain conformiste, furent les premiers épisodes fracassants de la nouvelle génération. Le mouvement épouse les idéaux communistes, ce qui donne lieu à de nombreuses déchirements. Bataille est contre, Aragon reste fidèle au Parti, beaucoup s’en vont précisément par refus du lien avec la politique, tandis que Breton choisit Trotski. La deuxième guerre mondiale et le départ pour les États-Unis créent d’autres divergences, mais la provocation, la rébellion contre le système, alliés à l’internationalisme, resteront toujours la marque de fabrique des surréalistes, avec l’affirmation par les femmes de leur volonté d’émancipation sexuelle.

Beaucoup se sont brouillés avec Breton, figure centrale, mais tous ont été, jusque dans les années 60, profondément marqués par sa personnalité et son intransigeance dans l’affirmation de la pensée surréaliste. Rothko et Pollock ont subi son influence, tandis que s’en réclament Magritte, Belmer ou Giacometti après Duchamp.

Aucun mouvement d’avant-garde n’a duré aussi longtemps (près de cinquante ans!) ni exercé une telle influence dans tant de domaines. Sur la tombe d’André Breton est gravée l’épitaphe : « Je cherche l’or du temps ». Cet or, les artistes et les poètes d’aujourd’hui continuent de le chercher avec lui, même si le surréalisme s’est de fait arrêté avec lui. Signe de cet extraordinaire succès : l’adjectif surréaliste est devenu un mot de la langue courante, même si on ne sait pas toujours ce qu’il signifie… Pour le comprendre il faut voir l’exposition qui n’épuise pas le sujet – tant s’en faut ! – mais qui permet de mesurer la diversité littéraire, poétique et artistique d’une des plus grandes aventures du XXe siècle.

  • À voir également : les deux films documentaires « Révolutions surréalistes », disponibles sur la plate-forme Arte.

Jérôme Clément

Editorialiste culture