Universités : de la contre-culture à la contre-révolution
Donald Trump ne se contente pas de couper les vivres aux universités qui lui déplaisent. Il a lancé contre ces anciens bastions de la contestation des années 1960 une vaste guerre culturelle.
PAR PASCAL GALINIER
Et de trois ! Après Columbia et Harvard, au tour de Berkeley. La prestigieuse université de la côte ouest des États-Unis, sise à San Francisco, se prépare à l’arrivée de la commission d’enquête sur l’antisémitisme mise en place par le gouvernement fédéral. Pour rendre l’Amérique plus grande (« make America great again ») rien de tel que de reprendre en main les universités, dit-on à Washington.
La Ivy League, le prestigieux club de huit universités privées du Nord-Est des États-Unis (Brown, Columbia, Cornell, Darmouth, Harvard, Princeton, UPenn, Yale), fut la première dans le collimateur de Donald Trump. Voici venue l’heure des universités publiques. Au premier rang, l’University of California, dont la dizaine de campus héberge plus de 250 000 étudiants, 21 000 professeurs, et près de 2 millions d’anciens élèves aux quatre coins du monde. Une vraie machine du soft power américain. Berkeley (à San Francisco) et UCLA (à Los Angeles) sont les deux établissements les plus connus et donc les deux plus exposés à la vindicte trumpiste.
Sous la férule de la « task force sur l’antisémitisme » créée au sein du ministère de la justice, l’agence Equal Employment Opportunity Commission (EEOC), chargée de la lutte contre la discrimination sur les lieux de travail, a gelé 400 millions de dollars de crédit à Columbia et 2,2 milliards de dollars à Harvard.
La croisade trumpiste ne va pas s’arrêter là. « Peut-être que Harvard devrait perdre son exemption fiscale et être imposée comme une entité politique, si elle continue de défendre sa folie politique, idéologique, inspirée par le terrorisme », a écrit le président américain sur son réseau Truth Social, en guise de réponse à la fin de non-recevoir que lui a opposé le président de Harvard Alan Garber, qui a porté plainte contre l’administration, lundi 21 avril.
A Berkeley, plusieurs centaines de professeurs ont été prévenus que leurs noms ont été communiqués à l’EEOC. L’inquisition est en marche. Côté financier, l’université pourrait se passer des financements fédéraux – 600 millions de dollars sur un budget de 3,8 milliards, même si elle ne peut guère compter sur l’Etat de Californie, qui a réduit ses subventions dans le dernier budget et n’assure que 10% des ressources du campus mitoyen de la Silicon Valley.
Du côté de San Francisco, le milieu universitaire attend surtout de savoir si Berkeley va se rebeller comme Harvard ou tenter de négocier comme Columbia.
Rien n’est joué. « La liberté constitue l’une des valeurs les plus chères à l’UC Berkeley. Elle fait partie intégrante de notre héritage en tant que berceau du mouvement pour la liberté d’expression et est au cœur de notre mission universitaire », rappelle-t-on sur le site de Berkeley Initiative for Free Inquiry (BIFI), le groupe de défense de la liberté d’expression héritier du mythique Free Speech Movement créé en 1964 par les étudiants mobilisés pour les droits civiques des noirs (on ne disait pas encore « africains-américains ») et en pleine contestation de la guerre au Viêt-Nam.
C’est justement au nom du free speech – garanti par le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis – que Donald Trump et ses fidèles s’attaquent aux bastions de la « contre-culture » des sixties. On connaît l’histoire de la Californie, l’état américain le plus sécessionniste – dans l’esprit sinon dans les faits. Cette Californie qui n’a pas ménagé ses efforts pour faire élire l’an dernier l’enfant du pays Kamala Harris, native d’Oakland, est donc une cible de choix pour le mouvement populiste MAGA, particulièrement brocardé dans le Sun State depuis le premier mandat de Donald Trump.
Le big boss de « America Inc. » connaît le poids de « marques » telles que celles des universités. Avec le trio Berkeley, Columbia, Harvard, il ne pouvait rêver meilleure audience pour le remake à la Maison-Blanche de l’émission de téléréalité The Apprentice qui fit sa gloire, avec sa fameuse formule de clôture « You’re fired ! » (« vous êtes viré ! »).
L’actuel locataire de la Maison-Blanche – qui n’a lui-même guère brillé dans sa courte carrière universitaire au Fordham College de Rose Hill (New York), dont il n’obtint aucun diplôme – a bien compris qu’il ne pouvait se contenter de couper les vivres à ces forteresses universitaires dont il a entrepris de faire le siège.
Comme l’a récemment révélé Le Monde, Donald Trump a envoyé sillonner le pays le dénommé Charlie Kirk, un podcasteur riche de 5 millions d’abonnés sur le réseau social X (propriété d’Elon Musk…). Sa mission : vanter auprès des jeunes Américains tous les atours de la « contre-révolution » trumpiste.
Après la contre-culture, la contre-révolution… C’est aussi cela l’art du fascisme tel qu’il fut théorisé voici tout juste un siècle par un certain Benito Mussolini… Quatre ans après l’assaut du Capitole à Washington DC, le 6 janvier 2021, il flotte de Boston à San Francisco comme des airs de civil war…