USAid : la hache de Donald Trump
Le sort de USAid, l’organisation humanitaire réduite à la portion congrue, illustre la vision Trump 2.0 du rôle des États-Unis dans le monde, fondée sur le seul rapport de forces.
Par Sébastien Levi
Nous en garderons 300 sur 10 000… Le 6 février dernier, le gouvernement américain annonce une coupe dramatique dans les effectifs de l’agence USAid, l’agence américaine pour le développement international au budget de 40 milliards. Ce qui revient à programmer de facto sa fermeture.
C’est sans doute la mesure la plus significative prise par Trump (et pilotée par Elon Musk) depuis sa réélection. La brutalité, d’abord. Elle symbolise le modus operandi trumpiste, qui vise à sidérer l’opinion et à prendre de court ses opposants ou les personnes concernées, même s’il s’agit en l’occurrence d’humanitaires présents partout dans le monde.
La décision est ensuite pilotée par Elon Musk, qui use de son pouvoir exorbitant au sein du gouvernement Trump pour satisfaire ses obsessions. Grace à son réseau X, il peut démultiplier son message à coups de fake news, pour attaquer frontalement, comme ici avec USAid, une institution ou un pays qui lui déplaît.
Musk n’est pas seul en cause : la destruction de l’USAid est d’abord inspirée par Trump. Dès le 20 janvier, il avait suspendu l’aide internationale, avant de rétropédaler partiellement. Le président pense que le monde entier abuse des États-Unis. À cette aune, le système d’aide internationale est pour lui une absurdité voire une abomination, et USAid son symbole le plus éclatant.
Philanthrope a minima comme personne privée, Trump ne comprend pas les idées d’assistance et de solidarité. Sa vision darwiniste divise le monde entre gagnants et perdants, que ces derniers soient des pauvres, des étrangers ou bien ces soldats morts ou blessés au combat qu’il a qualifiés de « losers ». Dans les affaires ou en politique, il s’agit uniquement de gagner, de gagner vite et fort, sans attendre. Récolter les bénéfices demain d’une action entreprise aujourd’hui ? Ce n’est pas dans son ADN. Il se méfie des schémas diplomatiques compliqués, surtout s’ils impliquent une aide extérieure.
USAid est pourtant l’instrument par excellence du soft power américain, qui a permis d’asseoir la domination américaine depuis 1945. Or, l’idée même de soft power est étrangère à Trump, qui ne jure que par les rapports de force. La notion de gagnant-gagnant n’a jamais fait partie de son logiciel, son approche transactionnelle est toujours déséquilibrée à son avantage, tout du moins dans l’affichage. Pour que lui gagne, il faut que l’autre perde : hier un sous-traitant dans l’immobilier, aujourd’hui les autres nations. La puissance américaine découle de la force, pas de l’influence ; c’est la crainte – et non le respect mutuel – qui assure la domination américaine, à rebours du consensus bipartisan qui régnait dans les cercles dirigeants américains depuis la seconde guerre mondiale, et qui a permis aux États-Unis de devenir le leader du monde libre.
La fermeture d’USAid reflète aussi la lâcheté des Républicains, au premier chef celle du Secrétaire d’État Marco Rubio, qui n’avait pas de mots assez forts pour défendre le principe de l’aide et qui se renie aujourd’hui, à la manière des Républicains qui ont renié le libre-échange, l’état de droit ou la défense de la démocratie dans le monde, par loyauté absolue envers Trump.
Les seuls membres du Congrès à s’émouvoir de cette fermeture sont démocrates, et la manière dont les élus de la Chambre et du Senat ont été empêchés, à la suite de l’annonce du 6 février, de pénétrer dans les bureaux d’USAid, a montré de manière troublante l’ampleur du séisme institutionnel qui secoue Washington DC. Dans le monde Trump 2.0, un milliardaire non élu comme Elon Musk peut bloquer l’accès d’une institution fédérale à des élus du Congrès.
La gestion des affaires de Donald Trump l’a conduit à faire faillite six fois. Quelles seront les conséquences, pour les Etats-Unis mais aussi pour l’équilibre du monde, de sa gestion politique et diplomatique, dont la décision sur USAid est la triste incarnation ?