Vers le « Grand Israël »

par Laurent Joffrin |  publié le 05/05/2025

Les annonces faites hier par certains ministres de Netanyahou alimentent la crainte de voir se développer, non une guerre défensive, ni même une guerre de représailles, mais une pure guerre de conquête, aux limites dangereusement extensibles.

Laurent Joffrin

C’est un projet conquérant qui prend de la consistance, même s’il faut espérer que le gouvernement Netanyahou ne commettra pas la folie de vouloir le réaliser : il est possible, désormais, que l’attaque barbare du 7 octobre, crime cardinal du Hamas, soit aussi le point de départ, selon le rêve caressé par une partie de l’extrême-droite israélienne, de la création d’un « Grand Israël ».

Qu’on en juge : selon une source officielle, le cabinet de sécurité israélien a approuvé une extension des opérations militaires visant à la « conquête » de la bande Gaza. Cette occupation comprendra le « départ volontaire des Gazaouis » du territoire palestinien. Et selon le général Ephraïm Defrin, porte-parole de l’armée, elle inclura avant cela « le déplacement de la plupart de la population de la bande de Gaza » hors des zones de combat. Comment ne pas penser que ce déplacement, justifié par des raisons plus ou moins humanitaires, vise aussi à chasser les Gazaouis de chez eux, à leur rendre la vie intenable et à les inciter à se réfugier ailleurs que sur le territoire de Gaza, comme l’a proposé plusieurs fois Donald Trump ?

Si l’on ajoute à cela les exactions cruelles des colons en Cisjordanie et l’extension de la zone occupée du plateau du Golan, on voit se dessiner sur la carte un Israël qui régnerait sans partage « de la rivière à la mer », soit du Jourdain à la Méditerranée, et du Golan annexé jusqu’au sud de l’ex-bande de Gaza. Un projet impérialiste, donc, bien dans l’esprit des nationalistes israéliens, au mépris du droit international et de toute considération humanitaire.

Ainsi le vieux mythe du « Grand Israël » deviendrait réalité, non pas dans l’acception initiale des « sionistes révisionnistes » du début du 20ème siècle, qui prônaient la création d’un État juif « de l’Euphrate au Nil », mais néanmoins dans celle de l’extrême-droite israélienne d’aujourd’hui, qui consiste, en fait, à chasser totalement les Palestiniens de l’ancienne Palestine pour leur substituer un état israélien soudainement dilaté. Ainsi, dans leur imbécile stratégie, les chefs du Hamas auraient conduit leur peuple à une dispersion totale et à la victoire spectaculaire des plus agressifs de leurs ennemis.

Que dire de ce projet fou et humainement injustifiable ? Ce qu’en dit une partie de la communauté juive britannique, qui a rompu le consensus qui voulait que leurs instances représentatives, quoi qu’elles en pensent, s’abstiennent de toute critique frontale de la politique israélienne. « En tant que juifs britanniques, nous ne pouvons rester silencieux plus longtemps au sujet de la guerre à Gaza », affirment ainsi 36 des 300 membres du Board of Deputies of British Jews (BoD), l’organe le plus représentatif des juifs au Royaume-Uni. Ce à quoi trente rabbins du même pays ont ajouté dans le Financial Times du 25 avril : « nous estimons qu’il est de notre devoir de rappeler aux dirigeants israéliens que, selon la doctrine juive, la guerre ne peut jamais être menée à des fins de vengeance ou d’expansion ». Une doctrine juive que les suprémacistes du gouvernement Netanyahou souhaitent manifestement fouler aux pieds sans vergogne, au profit, justement, de la vengeance et de l’expansion.

Laurent Joffrin