Victoire de Netanyahou, défaite d’Israël
Menée au nom de la sécurité nationale, la guerre de Gaza a surtout pour objectif d’assurer la survie politique de Netanyahou, qui se fait une nouvelle fois l’auxiliaire du Hamas.
Par SÉBASTIEN LÉVI
Dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, la plupart des observateurs en Israël ne donnaient pas cher de la survie politique de Netanyahou, le « Monsieur Sécurité » d’Israël qui n’avait pas su empêcher le pire massacre de Juifs depuis la seconde guerre mondiale.
Après la guerre du Kippour, une commission avait été formée et Golda Meir avait dû quitter le pouvoir un an après. Après le 7 octobre, l’ampleur du désastre aurait dû conduire, non seulement Netanyahou, mais tout l’appareil sécuritaire du pays, à démissionner. Or Netanyahou est parvenu à transformer ce désastre sécuritaire et politique en guerre existentielle. Pour lui, le 7 octobre n’était qu’un épisode, certes dramatique et traumatique, de l’éternelle guerre d’Israël contre ses ennemis intemporels, c’est-à-dire du bien contre le mal.
Cette transformation de l’événement en moment ontologique, existentiel, est d’autant plus cynique qu’elle n’a pas épargné les chefs des organisations de sécurité du pays. Ils ont dû démissionner les uns après les autres, concentrant les responsabilités sur eux-mêmes et exonérant de facto Netanyahou et ses choix désastreux, comme celui qui a consisté à renforcer le Hamas pendant des années en assurant son financement par le Qatar pour rendre impossible toute solution politique avec l’Autorité Palestinienne.
Cette dépolitisation des causes de la catastrophe a permis à Netanyahou de dépolitiser également la riposte. Légitime au départ, la guerre n’a plus trouvé de finalité que dans sa propre continuation, sans boussole, sans objectifs politiques et sans plan pour le jour d’après.
Pour Netanyahou, cerné par les affaires judiciaires, cette guerre est effectivement existentielle, non pour la survie d’Israël, mais pour celle de son gouvernement et donc pour sa liberté personnelle, l’aile d’extrême-droite du gouvernement ayant expressément lié son maintien dans la coalition à la poursuite des opérations à Gaza, les otages passant au second plan. En ce sens, rarement l’expression « l’État c’est moi » n’aura été aussi pertinente que dans le cas de Netanyahou, qui soumet les intérêts de son pays aux siens propres.
Il fait coup double. Cette guerre sans fin lui permet non seulement de rester au pouvoir, mais aussi de tuer toute vision politique de la résolution du conflit, à laquelle il n’a jamais cru. Netanyahou est convaincu que la normalisation des relations avec les Palestiniens n’est ni souhaitable ni possible et que l’intégration d’Israël dans la région peut se faire sans se préoccuper de leur sort. Tel était le sens de son discours à l’ONU en septembre 2023, qui vantait les accords d’Abraham conclus sous Trump 1.0 avec plusieurs pays de la région, dont le Maroc ou les Etats Arabes unis, reléguant la question palestinienne au second plan.
Avec le massacre du 7 octobre, le Hamas a voulu montrer que l’intégration d’Israël dans la région était impossible, ce qui revient à nier son droit même à l’existence. Un gouvernement responsable aurait répondu au Hamas en lui infligeant la pire défaite possible mais aussi en renforçant l’intégration d’Israël dans la région, qui passait par une la prise en compte des aspirations nationales des Palestiniens. Otage volontaire de son extrême-droite (des partis centristes se proposaient de les remplacer), hostile idéologiquement à toute normalisation avec les Palestiniens, Netanyahou a récusé cette perspective. Guidée par une volonté de vengeance et non par des objectifs politiques, sa riposte a répondu aux attentes du Hamas, dont il est une nouvelle fois l’allié objectif dans le refus partagé d’imaginer un avenir pacifique et normalisé, au profit d’une guerre sans fin opposant des ennemis irréductibles.
Apres l’utilisation assumée de l’arme de la faim par Israël, cette idée de guerre totale s’est renforcée dans les derniers jours : il n’y aura pas de commission d’enquête sur le 7 octobre (aboutissement de sa stratégie de déresponsabilisation politique) ; en parallèle, Israël prépare la réoccupation de la bande de Gaza, organise la concentration des civils dans une zone réduite et encourage leur expulsion, n’attendant que le feu vert de Trump pour la mettre en oeuvre.
Contre cette politique, une manifestation commune du souvenir des victimes des deux camps, israélien et palestinien, a été organisée. Elle a donné lieu à une scène de quasi-pogrom. Dans la synagogue où se tenait le rassemblement, des nervis d’extrême-droite ont « cassé du traître » en attaquant ceux dont le seul tort est de croire encore à une humanité commune. Le lendemain, dans une métaphore troublante, les cérémonies de la fête d’indépendance ont coïncidé avec un incendie ravageur en Israël, symbole d’un pays qui brûle de ses divisions internes, de cette guerre sans fin et de son isolement international, à cause des pyromanes au pouvoir.
Cette guerre est bel et bien existentielle, non pour la sécurité physique de l’État d’Israël, mais pour pérennité comme foyer national libre et démocratique du peuple juif, intégré à la famille des nations. Qui seront les pompiers pour éteindre le feu qui encercle Israël aujourd’hui ?