Violence des mineurs : ce que la gauche doit faire

par Bernard Cazeneuve |  publié le 20/06/2025

La surenchère des mots qu’on entend à droite est nuisible. Mais la gauche doit aussi dire clairement qu’elle adaptera la réponse judiciaire à la montée de la violence, tout en promouvant un projet de société conforme aux valeurs humanistes.

Apolline de Malherbe a reçu dans « Le Face à Face » Stéphanie, la mère d’Elias, jeune garçon de 14 ans tué à Paris pour un téléphone portable, sur RMC et BFMTV le mardi 10 juin 2025. (©RMC & BFM)

Le 10 juin dernier, dans une intervention bouleversante à la télévision, la mère du jeune Elias évoquait le souvenir de son fils aimant, mortellement agressé à Paris par deux mineurs de 16 et 17 ans, aux lourds antécédents judiciaires. La violence dont le jeune homme avait été la victime n’avait d’autre motivation que le vol de son téléphone portable. À l’heure où cette femme endeuillée s’exprimait, une assistante d’éducation était poignardée à mort par un élève de 3ème, à l’entrée du collège de Nogent. À mesure que l’information se diffusait dans le pays, avec les témoignages de la violence déchaînée, l’effroi remplissait nos cœurs de chagrin et de colère mêlés.

Puis les commentaires et les expertises se succédaient sur les chaînes d’information en continu, de même que les interventions à l’Assemblée nationale et sur les réseaux sociaux. La gravité des faits imposait le besoin d’être en pensée avec la victime et de tenter de comprendre les causes d’un tel acte. Elle exigeait aussi des gouvernants et de leurs opposants qu’ils expriment sans attendre leurs propositions pour endiguer ce mal qui saisit la France, et d’autres pays développés en Europe, ainsi que les États-Unis : l’aggravation générale de la violence homicide et l’amplification spécifique de la violence des mineurs, marquée notamment par le fléau des couteaux.

Parmi les propos qui suivirent le meurtre de Mélanie G. en Haute-Marne, ceux du procureur de la République de Chaumont doivent être particulièrement entendus. Prononcés par un magistrat dans notre État de droit, restituant les déclarations du collégien placé en détention provisoire devant les enquêteurs et un juge d’instruction, ils imposent à notre société un devoir de réflexion et d’action.

Que dit cet adolescent sur son acte terrible ? Qu’il voulait tuer une assistante d’éducation, « n’importe laquelle ». Qu’il « ne supportait plus le comportement des surveillantes en général » dont il jugeait l’attitude « différente entre les élèves », sans mentionner un seul exemple illustrant sa perception. Qu’il avait été réprimandé la semaine précédant le drame pour avoir embrassé sa petite amie dans l’enceinte de l’établissement par une surveillante qui ne fut pas sa victime. Qu’il avait conçu son geste pendant plusieurs jours et, le matin du drame, saisi « le plus gros couteau qui se trouvait à son domicile » en vue de « faire le plus de dégâts ».

Le procureur livre d’autres précisions à propos du collégien mis en examen pour « meurtre sur une personne chargée d’une mission de service public ». Décrit « plutôt comme un bon élève », il avait été exclu à deux reprises pour avoir porté des coups contre des camarades à l’automne dernier. « Adepte des jeux vidéo violents », il n’en était « pas addict ». Enfin, ne présentant « aucun signe évoquant un possible trouble mental », ce jeune de 14 ans apparaît comme « en perte de repères quant à la valeur de la vie humaine », comme « détaché tant au regard de la gravité des faits reprochés que des conséquences vis-à-vis de lui-même ».

Dans ce contexte, la politique doit prévaloir et les polémiques sont à bannir. L’enjeu concerne l’avenir de notre jeunesse et il n’est pas de devoir plus grand pour une nation que de mobiliser pour elle de l’attention, de la lucidité et de la responsabilité.

Bien sûr, face à la montée en puissance de la violence des mineurs, la réponse doit être judiciaire. De l’État – je le rappelais après les émeutes urbaines de 2023 dans ce Bloc-notes – les Français attendent qu’il rétablisse l’autorité de la loi républicaine et qu’il prenne acte de la réalité de la délinquance et de la criminalité. Usage d’armes tranchantes, rixes entre bandes, participation à des vols et séquestrations ainsi qu’au trafic de drogue sous la pression des réseaux de criminalité organisée, la violence qui saisit une partie de la jeunesse a changé d’échelle et de nature. Devant cette évolution, la réponse judiciaire doit être adaptée, efficiente dans l’intérêt même de la protection de la jeunesse en écartant deux impasses : l’essentialisme (« tous les jeunes sont violents ») et le relativisme (« chaque violence est particulière »). Être à la hauteur du défi sous nos yeux, c’est relever l’enjeu principal de l’effectivité des peines prononcées par la justice, notamment de comparutions immédiates pour les mineurs de moins de 16 ans et de prises en charge, dès la première infraction, au sein d’établissements spécialisés – et non en milieu carcéral.

Inutile, pour mettre en œuvre de telles décisions, de se lancer dans la surenchère des mots – un mineur n’est pas un « barbare » mais l’un de nos enfants – ni dans celle des simplismes – comme l’installation de portiques de sécurité à l’entrée des collèges et des lycées. L’ampleur de la situation exige du sérieux et de la continuité dans l’action publique, et d’abord dans le renforcement des missions, des moyens et des métiers de la chaîne pénale.

Personne ne pense toutefois que des réponses exclusivement répressives et pénales vaincront la violence-phénomène. Si cette bataille collective nécessite des ressources budgétaires et des investissements, elle est d’abord un défi humain et moral. Sa résolution ne relèvera pas d’abord de milliards et de « dispositifs », mais d’une vision de la société et de l’individu qui doit s’y inscrire. Un tel projet renouant avec l’humanisme sera seul capable de permettre à la jeunesse – et plus largement à la nation – de surmonter le vide de sens d’un monde que le Covid priva d’interactions sociales pendant plus d’un an, où les changements climatiques s’aggravent, le moteur du progrès est grippé, un modèle de consommation compulsif par Internet consacre l’avoir et le paraître, où les plateformes de la Tech, abolissant les frontières entre bien et mal, vrai et faux, substituent le repli algorithmique à la discussion argumentée et à l’imaginaire.

Voilà pourquoi l’école doit redevenir le premier projet du pays. Les smartphones et les réseaux sociaux doivent y être proscrit dans ses murs. Des infirmiers, médecins, psychologues doivent de nouveau y être présents en nombre pour repérer les situations de violence, celle dont des jeunes peuvent faire preuve ainsi que celle qu’ils peuvent subir dans l’école ou la sphère familiale. Quant aux élèves temporairement exclus, ils doivent faire l’objet – et leurs parents avec eux – d’un accompagnement durant cette période par les communes, les services de l’État, les associations, afin de leur faire comprendre les motifs de la sanction par la parole, des apprentissages, une découverte des métiers. C’est à l’école que se transmet, comme y exhortait Jaurès, le courage « de comprendre sa propre vie, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale ».

Bernard CAZENEUVE
Ancien Premier ministre

Article publié le 17 juin 2025 dans L’Opinion

Bernard Cazeneuve