Viols : ceux qui ne veulent pas voir
Pour un Dominique Pélicot qui admet être un « violeur », combien de complices aveugles, sourds et muets dans la société ?
Il se dit donc responsable et coupable ! Les aveux publics de Dominique Pélicot devant la chambre criminelle du Vaucluse vont permettre, espère-t-on, d’éviter les dénégations attendues de ses 50 co-accusés dans les viols de Mazan, ou d’en limiter la portée. Car le déni est hélas récurrent dans les affaires de violences faites aux femmes. Ce déni incite trop souvent les victimes à se taire, et quand elles osent parler, elles se heurtent encore trop fréquemment à un mur de scepticisme, d’incrédulité, de négligence, voire d’hostilité. Un aveuglement, inconscient ou volontaire, qui explique en grande partie le décalage entre le nombre annuel de viols (près de cent mille) et celui des sanctions prononcées (moins de 1%). Tous sont atteints par cette maladie du déni : médecins, ecclésiastiques, policiers, magistrats.
Comment expliquer que, pendant 10 ans, les médecins que Gisèle Pélicot a consultés pour les troubles physiologiques qu’elle subissait en raison des drogues ingurgitées et des viols à répétition, n’aient pas un instant imaginé qu’elle ait pu être abusée ? La soumission chimique est hélas devenue banale. Elle a même fait la Une des journaux quand une sénatrice s’est plainte d’en être victime. Un débat a été lancé au Parlement. Aucun médecin ne peut l’ignorer. Les affections gynécologiques couplées à des problèmes neurologiques auraient dû les alerter. Il n’en a rien été. Typique de l’impensé de notre société.
Impensable, également, l’inconduite de l’abbé Pierre. Ou plutôt, indicible. Pendant des décennies, elle n’a donc pas existé, alors que la hiérarchie religieuse savait. Le pape François a levé un grand pan du voile : le Vatican aurait été mis au courant après la mort de l’icône. Louable effort de vérité. Mais le décès remonte à 2007. Personne, ni l’actuel occupant du trône de Saint Pierre, ni son prédécesseur, ni leurs entourages, n’a cru bon de rendre justice à toutes les proies du supposé saint homme. François se réjouit que la vérité soit dite. Que ne l’a-t-il fait sortir plus tôt des caves du Vatican ? Et tous les ecclésiastiques français avec lui ? Toute vérité ne serait pas bonne à dire…
Autre forme de déni, celle de la police. Combien de femmes victimes de viols ont elles ressenti le regard dubitatif de l’agent supposé recueillir leur plainte ? Surtout si elles ne correspondaient pas aux canons imaginaires de que doit être une victime d’agression sexuelle : il faut que celle-ci soit sobre, à la tenue tout aussi sobre, et rouée de coups visibles, pour qu’on la prenne au sérieux. Beaucoup d’efforts sont réalisés dans certains commissariats. Mais trop souvent encore, faute d’effectifs assez nombreux et formés, les plaignantes font l’objet de questions mettant en doute la véracité de leur récit. A tel point que l’affaire est souvent classée sans que l’auteur des violences mis en cause ait même été entendu.
Enfin, il y a la justice. Là aussi, les trop rares femmes qui ont réussi à parvenir jusqu’à l’étape du tribunal pâtissent des préjugés. Le président de la Cour n’échappe pas au sexisme qui imprègne la société et, comme les jurés, peut se montrer sensible aux arguments de la défense. Les avocats plaident en effet immanquablement sur le thème « la victime était consentante ». Où sont les preuves du refus de la victime ? Il n’y en pas toujours de traces. Emmanuelle Piet, grande figure du féminisme, résume le problème d’une formule lapidaire : « Il faudrait être morte pour prouver qu’on ne voulait pas ! »
D’où la proposition de modifier le code pénal pour y introduire la notion de consentement. L’idée est de ne plus partir du présupposé que la femme est consentante sauf dans les cas où il serait démontré que l’homme aurait agi par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Ces quatre cas sont trop restrictifs et ne tiennent pas compte des vulnérabilités psychiques ou sociales de la victime. Il faudrait au minimum élargir le champ des situations où l’on considère qu’il n’y a pas consentement. Certaines féministes souhaitent même que ce soit à l’homme de prouver qu’il s’est assuré de l’accord de sa partenaire. La réflexion avançait sur ce sujet à l’Assemblée nationale avant la dissolution. Reprendra-t-elle ? Pour les parlementaires et le prochain gouvernement, ce serait l’occasion de ne pas se montrer aveugle, sourd et muet, comme les trois singes de la parabole asiatique.