Viols en série : pour en finir avec la banalité du mal
Cinquante et un hommes « ordinaires » capables du pire : le nouveau gouvernement doit d’urgence s’attaquer aux racines du mal. Trois orientations (non coûteuses) peuvent être prises. Par Sylvie Pierre-Brossolette.
Ils ont entre 20 et 75 ans, exercent des métiers honorables de toutes sortes (y compris pompier et gardien de prison), offrent des profils de monsieur Tout-le-monde. Et pourtant, ils sont accusés d’actes inimaginables : le viol du corps inanimé d’une femme que son mari a « offert » à des inconnus sur internet après l’avoir puissamment droguée. Une soumission chimique qui n’a pas gêné des dizaines d’individus venus, pendant près de dix ans, assouvir leurs envies sexuelles. Jusqu’ici, un seul s’est excusé. Les autres ne voient pas le problème, l’un d’eux osant même dire : « C’est sa femme, il fait ce qu’il veut avec ».
Comment est-ce possible dans la société d’aujourd’hui ? Il ne s’agit pas de l’acte isolé d’un fou, mais des agissements d’une bande représentative de la population française. Cela conduit à s’interroger sur ce qui a permis à chose pareille de se produire. Et aux mesures d’urgence qu’un gouvernement devrait prendre pour empêcher que cela recommence, sous une forme ou une autre. Voici, Monsieur le Premier ministre, des pistes pour votre discours de politique générale, qui ne coûtent rien, qui sont consensuelles, et qui seraient salutaires pour le pays :
Première piste : l’éducation sexuelle. Toujours réclamée, jamais (ou très peu et très mal) appliquée. Une loi de 2001 rend obligatoire la tenue de trois séances par an dans le primaire, au collège et au lycée. Un rapport de l’Inspection générale de l’éducation de 2021 a révélé ce qu’on savait : moins de 15% des élèves dans le primaire, et moins de 20% au collège, reçoivent ce précieux enseignement qui, lorsqu’il est correctement dispensé, aide les jeunes à ne pas tomber dans les travers de l’irrespect et de la violence. En cette rentrée, l’éducation sexuelle devait enfin être programmée dans tous les établissements scolaires. Mais le très conservateur Conseil supérieur des programmes du ministère de l’éducation nationale a proposé, en mars dernier, une vision tellement prudente et intellectualisée du sujet, que son application n’est pas opérationnelle. La concrétisation d’une version utile est actuellement débattue en interne, à charge pour le ou la ministre du prochain gouvernement de trancher.
Deuxième piste : l’accès au « porno ». Les images véhiculées par les vidéos pornographiques de plus en plus violentes sont venues, hélas, combler le manque d’information des plus jeunes sur la vie sexuelle . La domination, l’humiliation, l’agression des femmes dans des scènes de barbarie sont monnaie courante. C’est la procureure de Paris qui l’affirme : « 90% des vidéos porno relèvent du Code pénal en raison de leur violence ». Le public, toujours plus jeune, toujours plus nombreux, de ces séquences insoutenables, est imprégné par ce qui devient le modèle de la vie sexuelle. Une loi promulguée avant l’été permet désormais à l’autorité administrative de faire retirer des services en ligne les contenus de « tortures ou d’actes de barbarie qui contreviennent manifestement au code pénal ». Qu’attend-on pour appliquer cette disposition ? Tant que ces images circuleront en toute impunité, le porno sera l’école du crime sexuel. Là aussi, le ou la ministre de l’Intérieur du prochain gouvernement doit agir.
Enfin, troisième piste, la régulation d’internet. Au-delà de la problématique de l’influence du modèle porno, le secteur numérique est le véhicule par excellence de tous les excès. Développé sur un principe de liberté de communication totale, il est trop timidement encadré. Les ravages que produisent ses contenus sur les jeunes et moins jeunes cerveaux, la violence ordinaire qui y est véhiculée, le cyber harcèlement quotidien ciblant particulièrement les filles et les femmes, les rôles sociaux stéréotypés incarnés par des influenceurs et des influenceuses caricaturaux, contribuent évidemment à nourrir une société du non-respect. Il est temps de responsabiliser plates-formes et hébergeurs. C’est sur un site internet, coco.fr, que M. Pelicot recrutait ses violeurs. Ce site, repaire de contenus pédophiles notamment, a été enfin fermé après 20 ans d’impunité et 23 mille procédures dénonçant ses agissements illégaux. Il faut aller plus vite, plus fort, pour débarrasser internet de ses contenus qui défient la loi et minent la société. Ce devrait être la priorité du prochain membre du gouvernement chargé du numérique. Sur cette piste, comme sur les deux autres, on attend des actes, pas des paroles. Comme le dit Michel Barnier…