Vive la gauche américaine !
La magistrale remontée des démocrates sous l’impulsion de Kamala Harris est une leçon pour la gauche française, qui s’embourbe dans la confusion et l’outrance.
Oui, on sait… La vie politique américaine est fort éloignée de la notre. Son centre de gravité politique n’est pas le même. Aux États-Unis, le système de protection sociale européen est tenu pour plus ou moins bolchevique, la justice est implacable, les prélèvements obligatoires sont bas et tout candidat qui aurait l’intention d’abolir la peine de mort serait battu d’avance, etc.
Il y a néanmoins une gauche et une droite. Les démocrates défendent l’égalité des droits, promeuvent les minorités et cherchent à humaniser le capitalisme par l’intervention publique, toutes choses énergiquement combattues par les républicains, surtout depuis que Donald Trump a marabouté son camp pour le jeter dans l’extrémisme.
Il est donc intéressant de voir, au-delà d’évidentes différences, comment le parti qu’on disait battu d’avance après l’attentat de Butler contre Trump, s’est remis en moins d’un mois dans la course. Certes, rien n’est acquis et l’ancien président garde une assise solide. Mais la convention démocrate qui se tient cette semaine va introniser un « ticket » Harris-Walz qui a su restaurer le moral de l’Amérique progressiste et qui n’est pas loin d’être donné favori pour l’élection de novembre prochain.
Les démocrates ont d’abord joué l’expérience. Kamala Harris, ancienne procureure, ancienne sénatrice, a été quatre ans vice-présidente. Sans jouer un rôle décisif – de par sa fonction – elle a vu au plus près jouer les mécanismes du gouvernement américain et se développer la politique du président Biden. Dans le même temps, après avoir cédé aux vetos insoumis sur les candidats crédibles, la gauche française a désigné comme porte-drapeau une femme estimable, mais qui n’a aucune épaisseur politique et encore moins d’expérience parlementaire ou gouvernementale.
Progressiste, acceptée par la gauche du parti, Harris se situe au centre de l’écosystème démocrate. Elle incarne avec flamme l’égalité des droits mais s’est distinguée aussi par sa rigueur judiciaire – en France, on dirait « sécuritaire » – dans ses anciennes fonctions de procureure. Elle a choisi comme colistier le gouverneur d’un État du Midwest, Tim Walz, orateur populaire et bonhomme, capable de rassurer l’Amérique profonde. Elle s’est enfin dotée d’un programme économique réaliste tourné avant tout vers les classes moyennes et populaires. Au contraire, le Nouveau Front Populaire s’est laissé enfermer dans la défense intégriste d’un programme radical et tient un discours dominé par les oukases de la France insoumise.
Comme la gauche française, le Parti démocrate s’est retrouvé profondément divisé par la guerre de Gaza. Mais l’aile gauche, propalestinienne, a veillé à éviter toute rupture grave. Alexandra Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, socialistes affichés, figures plutôt radicales (selon les critères américains : en France, ils seraient qualifiés de sociaux-démocrates), ont soutenu jusqu’au bout Joe Biden, tout en se démarquant de son soutien à Israël. Comme tous les démocrates, ils soutiennent « Kamala ». En France, la courant propalestinien n’a cessé de dénoncer les partenaires de la gauche suspects d’indulgence envers Israël ; il a tenu envers le Hamas un discours pour le moins ambigu, assorti de dérapages antisémites.
Deux stratégies, donc, qui ne s’expliquent pas seulement par les différences de culture politique. Harris a entrepris de reconquérir les électeurs du centre pour constituer une majorité nette, sans laquelle Trump sera réélu. Le Nouveau Front Populaire s’est déporté sur sa gauche et a laissé Mélenchon occuper la scène, comme celui-ci le fait encore en demandant la destitution d’Emmanuel Macron sans aucune chance de l’obtenir.
La gauche américaine est créditée de 49% dans les sondages et possède une bonne chance de victoire. La gauche française végète à 28% et voit chaque jour ses perspectives de succès s’amenuiser.