Votons pour l’État !
Une extrême-droite 2.0 et un capitalisme sans foi ni loi veulent se défaire de l’État, sanctuaire des régulations. Alerte !
Ce n’est ni Guizot avant 1848, ni l’offensive de l’école de Chicago du milieu des années 1970 sur fond d’atterrissage des Trente Glorieuses, ni même la globalisation heureuse de la fin du siècle dernier et son cycle de dérégulations victorieuses. Ce qui se joue actuellement est d’une toute autre nature, car la combinaison est autant idéologique qu’économique, sociale que culturelle. Une bataille Gramscienne dans laquelle les forces progressistes sont incontestablement acculées face au déferlement tous azimut contre l’idée même de l’État.
Victime de haches, version trumpienne, ou de tronçonneuses, version Milei, l’État comme rempart des inégalités, garant d’une solidarité instituée est aussi la traduction de principes démocratiques et de valeurs à travers l’État de droit. La puissance de l’attaque en cours a ceci de singulier, qu’elle ne s’en prend pas seulement, selon la rhétorique libérale, à l’État, comme un glouton d’argent public au détriment de l’initiative et de la libre concurrence, il est aussi visé comme symbole d’une « conscience » collective, qu’il convient d’abattre sans délais pour accoucher d’un monde nouveau.
Ce nouveau front déstabilise d’ailleurs l’extrême-droite traditionnelle et la tradition fasciste des années 1930 face à celle qui émerge aujourd’hui. Steeve Banon, éminence grise de Trump 1 et soutien des identitaires européens n’a pas de mots assez durs contre ce « capitalisme anarchiste », expression empruntée à nos confrères des Echos. La manière avec laquelle Elon Musk et sa cour ont mis la main sur les fonds fédéraux du trésor donnent non seulement la mesure du projet, mais également de la violence – à ce jour symbolique – qu’ils entendent arborer.
En Europe, la dégradation n’est pas de même nature. Les normes et les règlements demeurent structurants. Certes, les sempiternelles remises en cause de l’impôt sont en dynamique, mais les remparts sont désormais doubles entre État-membre et État supranational. C’est donc en abattant l’Europe que les nationalistes locaux se mettent en ordre de marche.
La réunion de l’Europe brune à Madrid, réunissant le gratin des nationalistes ce week-end, ne s’en cache nullement. Malgré une histoire continentale voisine, construite en parallèle des conquêtes sociales et de la démocratie politique, en dépit d’une construction commencée à six, chacun pressent aujourd’hui, l’extrême fragilité de l’édifice.
Il ne s’agit pas uniquement de défendre l’État pour ce qu’il est, une colonne structurant la société, organisant les services échappant au marché, en plus des fonctions régaliennes et des nouvelles exigences comme l’environnement. Encore faut-il lucidement en définir les contours, l’efficience et l’adaptation à la marche du monde.
Les dictatures bureaucratiques d’Europe de l’Est, en plus de leurs caractères policiers et de leurs crimes, ont emporté l’idée de l’État dans une société fonctionnarisée, jusqu’à les transformer en impotents incapables. La gauche démocratique n’en est pas là avec la défense des services publics que sont l’éducation ou l’administration territoriale, mais elle est incontestablement gênée dès qu’il s’agit d’avancer des propositions novatrices pour les réformer et donc les pérenniser. C’est une erreur que l’on paie. La déferlante libertarienne-réactionnaire démontre la facilité déconcertante avec laquelle les Maga et leurs relais mondiaux enfoncent les lignes après une orientation malheureusement validée démocratiquement.
Si nous voulons échapper à la hache, la tronçonneuse ou la marchandisation d’acquis séculaires, il est impératif de faire l’introspection des dysfonctionnements étatiques, non pour une cure d’amincissement, guidée par des impératifs idéologiques, mais pour conserver la crédibilité des rouages étatiques aux yeux du grand nombre. Il ne suffit pas de réclamer des moyens pour sauver les services publics en rejetant mécaniquement les rapports de la Cour des comptes ou les classements internationaux délétères.
À détourner le regard, à rejeter les critiques parfois fondées sur l’État, ses rouages et ses pesanteurs, on offre son démantèlement sur un plateau à ceux qui veulent le détruire. Pour la gauche, réformer l’État est un impératif si l’on veut éviter qu’il soit balayé par la pègre brune.