Washington-Paris : suivez le bras levé, c’est tout droit !
La réunion du gratin mondial de l’extrême-droite s’annonçait sous les meilleurs auspices dans la capitale fédérale jusqu’à cette manie décidément virale de lever le bras, tel le prolongement corporel du syndrome Gilles de la Tourette.
Évidemment pas de quoi en plaisanter, mais suffisamment pour en tirer quelques enseignements sur le brasier instable que demeure l’extrême-droite. En pleine dédiabolisation couronnée de succès, pourquoi le président du RN est-il parti à Washington, avant de se décommander devant la tournure des évènements puis sévèrement tancé par le maître de cérémonie ?
Il y a sans doute la tentation du jeune loup de surfer sur la vague venue d’outre-Atlantique. Une radicalisation toujours propre à la jeunesse que sa patronne n’a que peu apprécié, elle qui sent davantage le pouls d’un vieux pays et qui préfèrera toujours Röhm à Goebbels. Une pudeur de gazelle à relativiser tant Marine Le Pen a fait des pieds et des mains pour recevoir Steeve Bannon en grandes pompes à son congrès de 2018, celui-là même qui ne maîtrise plus son bras droit lorsqu’il éructe à la tribune.
Et puis, il s’agit d’occuper le terrain et de ne pas laisser la marque de fabrique aux concurrents. En l’occurrence, Sarah Knafo et son compagnon, Éric Zemmour, sont davantage en odeur de sainteté avec les idéologues libertariens de Washington quand il s’agit de saisir la tronçonneuse pour tailler dans la dépense publique. Il faut bien ménager les faveurs du grand capital aujourd’hui numérique, hier industriel, pour réaliser de grands dessins. Reste que la séquence est désastreuse pour le VRP de l’extrême-droite française contraint de sortir au pas de course devant ceux adoptant le pas de l’oie.
La CPAC (Conservative Political Action Conference) de Washington est pour les uns, l’occasion d’étendre la conquête MAGA sur la vieille Europe par le biais d’antennes relais, pour les autres, de se réclamer enfin de la victoire, espérant prochainement la leur sur le vieux continent. Mais l’Internationale de la réaction est par définition antinomique dès qu’il s’agit de défendre le nationalisme le plus étriqué et des intérêts économiques et stratégiques antagonistes. Alors, quelle est la caisse de résonnance commune aux convives, des « Patriotes pour l’Europe » dont l’éconduit Bardella, de Meloni et de ses troupes, du slovaque Fico, du britannique Farage, jusqu’au polonais Morawiecki ?
Les convergences sont celles de l’extrême-droite de tout temps : le rejet des immigrés au nom du grand remplacement fantasmé, les-uns allant jusqu’à le faire sur des bases racialistes, quand d’autres s’arrêtent au démantèlement des États de droit et des Droits de l’Homme, le partage d’une vision réactionnaire s’inscrivant contre le progrès et dont les attaques contre la laïcité révèlent une volonté de retour à la puissance des Églises.
La vraie nouveauté du XXIe siècle, cohérente avec leur corpus rétrograde, est un révisionnisme scientifique revendiqué, consistant à nier les bouleversements climatiques au bénéfice d’un productivisme grégaire refusant la décarbonation. Tout ceci ne fait évidemment pas un programme, mais cultive suffisamment de rancœurs, de haines et de peurs pour alimenter le flot des urnes.
Toutefois, même le vent en poupe, les fractures ne vont pas tarder à intervenir entre les Maurassiens, attachés à la terre et aux traditions et les porte-paroles du « capitalisme anarchiste 2.0 » autrement dit les libertariens à la tronçonneuse. Pour l’heure, ils sont suffisamment forts pour taire les divergences congénitales de cet axe international. Ainsi donc, la question sera de savoir qui est la dinde. L’extrême-droite européenne tondue sur le dos des intérêts de Washington ? Trump exhibé comme un trophée par Poutine pour l’avoir sorti de son isolement avant de poursuivre son entreprise impériale en Europe et de rentrer en contradiction avec ses propres intérêts ?
Dans tous les cas de figure, les Européens sont perdants s’ils ne parviennent pas à s’organiser pratiquement tout en revendiquant la bataille idéologique en faveur de la démocratie et des valeurs universelles. Dans ses cahiers de prison, Antonio Gramsci insiste sur la théorie, appelée à fonder la rationalité de la pratique, l’une ne pouvant se concevoir sans l’autre. Les dirigeants Européens y viennent trop lentement, sans que leurs peuples ne s’en inquiètent suffisamment. C’est la condition impérieuse pour défaire d’offensive de l’extrême-droite.