Zelensky : le grand ménage
Au moment où son armée cède dans le Donbass mais occupe une portion du territoire russe, le président ukrainien renforce son pouvoir et signifie sa volonté de ne rien céder à Poutine. Par Emmanuel Tugny
Que penser des profonds remaniements qui s’opèrent sous nos yeux au cœur de l’appareil d’État ukrainien ? Qu’en est-il de l’unité du pays, qui repose sur le volontarisme que l’ancien comédien au pouvoir à Kiev scénarise et sur une loi martiale prolongée dix fois depuis février 2022, qui a conduit à la proscription de onze partis politiques.
On se souvient des passes d’armes, attisées par Washington, qui ont opposé Zelensky à son chef d’État-major Zaloujny, rétif aux vues stratégiques ubiquitaires de son président, passes d’armes qui ont conduit au limogeage du populaire général en février dernier, au profit du docile Syrsky. Le report légal de l’élection présidentielle de mars 2024 est toujours contesté. L’opinion bronche sous le regard comminatoire du « Centre de lutte contre la désinformation » chargé de la traque des agents pro-russes pour qui Zelensky n’exerce plus légalement ses fonctions.
Le président a trop longtemps maintenu à leur poste nombre de proches convaincus de corruption. Une vague de mises à l’écart avait pourtant fait droit aux objurgations de Washington en la matière début 2023, emportant le vice-ministre des infrastructures, le procureur général, le directeur de cabinet adjoint de Zelensky, le vice-ministre de la défense, les gouverneurs de cinq régions. En septembre 2023, c’est le ministre de la Défense Reznikov qui avait dû démissionner. L’ex-ministre de l’Agriculture Solsky était arrêté en avril dernier.
Une nouvelle moisson est à l’ordre du jour, dont l’objet semble cette fois politico-stratégique. Le 3 septembre, au lendemain du limogeage du commandant de l’armée de l’air, plusieurs ministres ont été invités à démissionner : ceux de l’Environnement, de la Justice, de l’Armement et jusqu’au chef de la diplomatie Kouleba, remplacé par Sybiga, expert des dossiers turc et polonais. Le chef adjoint du cabinet du président ukrainien est venu se joindre au bal des adieux. La moitié du gouvernement devrait se voir renouveler dans les semaines qui viennent. Les entrants ont en commun leur totale dévotion au président et leur hostilité à toute génuflexion devant Moscou.
Ces changements surviennent à un moment paradoxal : l’Ukraine cède dans le Donbass et voit le nœud logistique de Pokrovsk sur le point de tomber mais elle tient 1300 km2 de terrain dans l’oblast russe de Koursk. Il faut d’abord voir dans cette purge le signe de la ténacité d’un président soucieux de rendre souffle à son exécutif, notamment en matière de production souveraine d’armement. Il faut y voir l’effet de sa hantise que son leadership ne se trouve contesté par tel ou tel rival. Il faut y voir celui de sa volonté de dire à la Russie le caractère irréductible de la résistance ukrainienne, que Poutine opte pour la fuite en avant ou pour les négociations. Il faut y voir enfin le produit de sa volonté d’attester devant Washington, où le vent électoral semble tourner, que l’Ukraine entend à la fois honorer et relayer le soutien reçu, c’est-à-dire mériter de le voir réitéré le moment venu.
La réassurance de son chef et candidat putatif à sa réélection, de l’opinion internationale, de la troupe, d’une population exténuée, à un moment de bascule entre emballement guerrier et tour de table : tels semblent les buts poursuivis par un pouvoir ukrainien en proie à une fièvre inédite.