Zone Critique
Ce roman graphique de Philippe Squarzoni et Bruno Latour relate les effets potentiellement catastrophiques du nouveau régime climatique vers lequel les humains entraînent la planète.
Nous vivons tous dans une zone de quelques kilomètres d’épaisseur, guère plus de cinq, entre le sous-sol terrestre et le haut des montagnes habitables. Au-dessus, l’air est irrespirable, en-dessous, il n’y a ni lumière, ni vie. Nous sommes donc quelques 8 milliards d’humains à partager un espace, somme toute, très restreint et fragile, une « zone critique » qui donne son titre au récit.
Voilà le genre de fulgurance qui reflète la pensée de Bruno Latour, sociologue et philosophe des sciences qui a fini par recentrer son œuvre foisonnante sur les défis existentiels liés à la crise environnementale. Défis de « l’Anthropocène » – l’âge géologique de l’Homme, « sixième extinction » des espèces animales, « solastalgie » – ou angoisse d’une Nature détruite : le roman graphique de Philippe Squarzoni prolonge et illustre les grandes notions de l’écologie politique moderne, telles que Bruno Latour a contribué à les définir avant sa disparition en 2022.
Un album pointu et exigeant, presque ésotérique par moments, mais porté par une grande poésie visuelle. C’est d’une fresque de l’actualité récente qu’il s’agit, pour décrire et dénoncer les dérives du capitalisme extractif qui ne prend pas en compte l’épuisement des ressources naturelles dans son calcul des équations économiques.
Mais c’est aussi un plaidoyer plus diffus en faveur de « l’hypothèse Gaïa », ou l’intuition que tous les organismes vivant sur la Terre sont reliés, et que notre planète les fait interagir comme une sorte de vaste écosystème. Fable des abeilles, parabole des champignons, évocation des années Trump et des phases de confinement liées à la pandémie du Covid : les récits s’entrecroisent au fil des pages comme une sorte de transe. Non pas le développement d’un système de pensée entièrement cadré, mais une sorte de vision intuitive, presque mystique, des dangers que l’espèce humaine fait courir à notre planète. Un livre étrange, en somme, qu’il faut lire et relire par petite bribes pour en saisir progressivement le sens, avant de le laisser infuser comme une poésie sombre.
Zone Critique, de Philippe Squarzoni et Bruno Latour, 176 pages, Éditions Delcourt-La Découverte, 29,95€
Consulter les planches de la BD des pages 22-23 en cliquant sur ce lien ainsi que la page 55 en cliquant sur ce lien et la page 76 en cliquant sur ce lien
