Réarmer ? Facile à dire…
L’urgence est d’aider l’Ukraine, certes. Mais le réarmement de la France s’inscrit dans un temps long qui implique un changement de culture de l’opinion sur la défense.

Aux armes, citoyens ? Depuis que les États-Unis, piétinant leurs engagements, ont suspendu leur aide à l’Ukraine pour prendre le parti de l’agresseur russe, les médias sonnent le clairon et s’emballent en répercutant les appels au réarmement d’Emmanuel Macron. Le renversement d’alliance opéré par Washington oblige les capitales européennes à réviser leur stratégie. Mais un emballement excessif pourrait aussi contrarier la mobilisation recherchée.
Il y a, d’une part, l’urgente assistance européenne à l’Ukraine pour lui assurer une paix négociée et durable. Pour y faire face, l’Union européenne ne peut compter que sur ses forces existantes et disponibles. Et il y a, d’autre part, le temps long, véritable marathon à engager pour remuscler les forces de l’UE au moment où l’OTAN subit la défection américaine. Or ce n’est pas un sprint, mais un marathon. En se précipitant, on risque de perdre en route l’adhésion des opinions publiques, sans laquelle aucune armée ne peut remplir longtemps ses missions.
L’obligation de s’armer n’est pas nouvelle; c’est le désarmement consécutif à la fin de la guerre froide qui était inédit. Revenir à des dépenses de l’ordre de 3,5% du PIB après être descendu à moins de 2% correspond à une logique de souveraineté qui, forcément, à un coût. Avant même la volte-face de Donald Trump, Emmanuel Macron avait appelé à changer d’échelle dans l’équipement des armées. Mais le plus dur sera de faire adhérer l’opinion à un changement de regard sur la défense. Le réarmement va exiger de fortes sommes… en espérant que ce soit à fonds perdus. C’est un paradoxe, mais aussi le principe même de la dissuasion, qui suppose de montrer sa force pour ne pas s’en servir. Toutefois, même en doublant à 100 milliards d’euros le budget consacré à la Défense, le rééquipement des forces militaires va prendre du temps.
En outre, les priorités nouvelles accordées à la défense ne peuvent évacuer d’autres enjeux liés à la lutte contre le dérèglement climatique, l’éducation nationale qui forme les citoyens de demain, ou la santé pour une population qui vieillit. Autant de budgets dans lesquels, en temps de paix comme c’est le cas en France, les Français ne supporteront pas longtemps que l’on sabre pour le seul bénéfice de la défense. Réarmer sans se démobiliser sur d’autres priorités et sans décourager l’opinion publique: durs arbitrages budgétaires en perspective pour le gouvernement. Mais il faudra tenir.
Le rythme de fabrication des avions Rafale est limité à trois par mois, à condition que les sous-traitants suivent, et son successeur européen – le Scaf – n’est pas attendu avant 2035. Pas facile d’accélérer la cadence. Le char Leclerc n’est plus fabriqué, et son successeur franco-allemand n’est pas attendu avant 2040. Le remplaçant du Charles de Gaulle, unique porte-avions français, doit être lancé en 2038. Et il est impératif de reconstituer les stocks d’obus, de missiles ou de munitions dont la fabrication a parfois été arrêtée. La relance des chaînes de production sera forcément une opération de longue haleine. Derrière des leaders comme Thales, Safran, Dassault Aviation, MBDA, Naval Group ou Nexter, près de deux mille entreprises sont actives dans le secteur de la défense où elles réalisent un chiffre d’affaires de quelque 30 milliards d’euros par an. Mais c’est dans les coopérations européennes que l’avenir de l’industrie d’armement doit s’inscrire. On en est loin…