Réarmer, une question d’argent ? Non, de courage
Nous sommes en plein concours Lépine. Chaque jour qui passe le débat sur le financement de notre défense s’enrichit de nouveaux avis. Recadrons le débat.

Le budget actuel des armées s’établit (2024) à 47,2 milliards. La loi de programmation prévoit 62 milliards comme objectif en 2030. Beaucoup d’experts s’accordent pour dire qu’il faudrait doubler ce chiffre et porter l’effort à 100 milliards en 2030 soit à 3% du PIB. Prenons cette hypothèse. Cela veut dire un effort supplémentaire de 7 milliards pendant 7 ans. Avec une montée progressive pour faciliter la montée en charge industrielle.
Énorme ? Oui… et non. Imaginons le financement : une croissance modeste de 1% du PIB rapporterait 3 milliards de rentrées fiscales ; un effort de lutte contre la fraude fiscale et sociale : 5 Md ; des économies budgétaires de 1 à 3 Md. Donc 3 + 5 + 3 = 11. Si la situation exigeait plus, le solde pourrait être soit emprunté pour un cout raisonnable, soit provenir d’une contribution exceptionnelle provenant de très gros patrimoines.
À noter que d’après la Cour des Comptes et l’INSEE, la fraude fiscale s’élève en France à 80 Milliards (au moins), la fraude sociale à 15 Md… donc au total le double du budget actuel de nos armées ! Quant au patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises il dépasse 1200 milliards d’euros. La contribution de ces fortunes à l’effort national éviterait l’aggravation de la dette française… dont elles se plaignent souvent par ailleurs.
Les Français épargnent beaucoup, on le sait : 18%. Et quand ils le font, ils privilégient les placements à court terme et liquides. Dans le droit fil des rapports Draghi et Letta, il est souhaitable d’orienter une partie de cette épargne vers les investissements et donc en partie vers l’effort de défense. Sûrement pas par prélèvement sur le Livret A, (comme certains le disent) : ce budget finance le logement social et il serait politiquement risqué d’y toucher. Mais en visant plutôt l’assurance-vie, qui a été particulièrement gâtée (fiscalement) au cours des dernières décennies et dont l’encours dépasse 2100 Md d’euros !
À cela s’ajouterait la contribution de l’Europe. La Commission a annoncé un plan de 800 Milliards. Reste évidemment à sortir des phrases creuses pour passer aux travaux pratiques (création d’un fonds européen dédié, autorisation donnée à la BEI d’intervenir dans le secteur, etc…). L’Allemagne semble prête à sortir du tabou des 3% de déficit maximum autorisé : c’est historique. En outre la mise en place d’achats groupés permettrait d’importantes économies aux acteurs industriels et aux États. Même si la France contribue à cet effort européen elle en bénéficiera aussi. J’ajoute que si – comme on l’évoque maintenant – la France étendait son parapluie nucléaire à des pays voisins, elle serait justifiée à en réclamer rétribution.
Plus que jamais l’industrie de la défense constitue un avantage pour notre économie : la France exporte déjà beaucoup de matériels militaires (22Md en 2024). Le nouveau contexte international ne peut que renforcer cet atout et bénéficier aux grandes entreprises que sont Dassault, Airbus, Safran, Thales et leurs sous-traitants. Il est clair que le nouveau contexte confortera l’hypothèse de croissance économique (modeste) évoquée plus haut.
Avec un tel plan, la France disposerait de la première armée d’Europe. Le pays pourrait multiplier par deux ses stocks de munitions, moderniser son arsenal nucléaire, financer un autre porte avion nucléaire et disposer de nouveaux sous-marins d’attaque, accélérer la livraison de l’avion du futur, doubler la capacité de cybersécurité, passer le nombre d’hommes sous les armes de 200 à 300 000, acheter 50 rafales F4, 200 chars Leclerc, 500 blindés, 2 frégates, 200 drones (MACE), 2000 missiles de type SCALP, 2 ou 3 satellites militaires. Oui, la première puissance militaire d’Europe. Ça vaut la peine non ?
Je ne dis pas ici que les 100 Milliards sont impératifs. Le contexte international en décidera. Et les chiffres ci-dessus méritent d’être vérifiés par les spécialistes (dont je ne suis pas). Ils n’ont qu’une valeur indicative mais claire : si elle le veut, la France peut financer son effort de défense de manière significative. Ceux qui prétendent le contraire sont souvent des défaitistes qui s’ignorent. Il est donc vital de préparer l’opinion à ce nouveau cours : aucun réarmement ne portera ses fruits si les citoyens ne sont pas convaincus de son absolue nécessité. Dans ce domaine, ni l’argent ni les idées ne font défaut… mais le courage.