France-Algérie : les secrets d’une bisbille au sommet de l’État
Couac en haut lieu : Bayrou lance un ultimatum à Alger, Macron le désavoue et, à la fin, c’est Retailleau qui gagne… Récit d’une crise en coulisses.
PAR CAROLE BARJON

« L’accord de 1968 (avec l’Algérie), c’est le président de la République ». Lapidaire, presque cinglante, la remarque d’Emmanuel Macron, rapportée en début de semaine dernière par le Figaro, vise François Bayrou. Aux yeux du chef de l’État, son Premier ministre est coupable d’avoir menacé l’Algérie de dénoncer les accords bilatéraux qui lient les deux pays depuis la fin de la guerre d’Algérie, si cette dernière ne se montrait pas plus coopérative, notamment en cessant de refuser de reprendre ses citoyens condamnés en France. Un désaveu en bonne et due forme, qui ne fait pas les affaires de Bruno Retailleau, lui aussi partisan de la fermeté, mais aussitôt attaqué par le Rassemblement national sur son impuissance politique.
Pourtant, avant le Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI) du 26 février, Retailleau avait pris soin de s’assurer auprès de Bayrou que Macron était bien d’accord sur la ligne qu’ils avaient arrêtée ensemble. Tout est arrangé avec le président, lui dit en substance Bayrou à la veille de cette réunion, sans lui préciser qu’il vient de déjeuner avec le président. Sauf que rien ne s’est passé comme prévu. Lors de sa conférence de presse à l’issue du Comité interministériel, le chef du gouvernement, parfois imprécis, s’emballe et lance un ultimatum de 4 à 6 semaines à l’Algérie. Voilà Retailleau doublé sur sa ligne de fermeté.
Après le sévère recadrage infligé par le président à son Premier ministre, la chose semble entendue. Plus question, pense-t-on, de bras de fer avec Alger pour la contraindre à reprendre ses ressortissants délinquants et à libérer l’écrivain Boualem Sansal ; plus question, pense-t-on encore, de dénoncer le désormais fameux accord de 1968, qui régit notamment les allées et venues des Algériens sur le sol français, comme l’avait annoncé, martial, François Bayrou à l’issue du récent comité interministériel sur l’immigration. Macron, pense-t-on enfin, se résigne à céder sur toute la ligne, malgré les provocations régulières des autorités algériennes. Le chef de l’État a manifestement sifflé la fin de la récréation. Le dossier Paris-Alger semble enterré. Circulez, y a plus rien à voir. D’autant moins que la crise internationale fait oublier tout le reste.
C’est mal connaître Bruno Retailleau et son opiniâtreté. Persuadé que le président n’a pas forcément compris la stratégie de « riposte graduée » qu’il avait proposé à François Bayrou avant la réunion du CISI, il demande rendez-vous à Macron qui le reçoit mercredi 5 mars. Lors de leur long entretien en tête-à-tête, le ministre de l’Intérieur plaide sa cause devant un Macron qu’il juge « très à l’écoute » et rappelle quelques faits comme la fermeture de l’espace aérien algérien opposée à la France en 2024, la suspension de l’aide à la sécurité pendant les Jeux olympiques, l’interdiction récente de l’enseignement du français dans les écoles algériennes, entre autres… Sans avoir besoin d’insister sur les 14 refus de l’Algérie de reprendre le meurtrier de Mulhouse, qui ont choqué Macron, il rappelle aussi que 43 % des détenus dans les centres de rétention administrative sont algériens et que les autorités d’Alger ont envoyé de l’argent à leur consulat de Montpellier pour soutenir la cause de l’influenceur Doualemn, libéré en février après sa garde à vue, mais dont la Justice vient aujourd’hui même d’ordonner l’expulsion.
Retailleau développe enfin sa stratégie de « riposte graduée » : restriction des visas pour les dignitaires algériens, liste fournie à Alger d’une centaine de ressortissants algériens les plus dangereux à reprendre, qu’ils soient sous OQTF et/ou détenus en centres de rétention, etc… Non sans oublier de faire valoir à Macron qu’il serait par ailleurs plus efficace que l’instruction des demandes de visas soit désormais du ressort du ministère de l’Intérieur et non plus du seul Quai d’Orsay, qualifié par l’un de ses amis d’« ONG vaporeuse »…
En sortant de l’Élysée, Retailleau, qui évoquait en privé l’hypothèse de sa démission, est convaincu d’avoir sauvé la mise en œuvre de sa politique de gradation des réponses aux provocations du pouvoir algérien. « J’ai été entendu », confie-t-il. Le président, qui avait lui-même parlé de « rente mémorielle » à propos de l’Algérie, lui a donné son accord sur la méthode, « à faire connaître à l’opinion française », et aussi sur la menace, en dernier recours, de dénoncer les accords bilatéraux entre les deux pays. Reste à savoir maintenant quels résultats donnera cette riposte graduée et à quelle échéance…