Bosnie : le spectre de la guerre civile

par Malik Henni |  publié le 13/03/2025

Milorad Dodik, président de l’entité serbe au sein de la Bosnie, menace de faire sécession pour se rapprocher de la Serbie, ce qui a conduit les autorités de Sarajevo à lancer un mandat d’arrêt contre lui. Le conflit armé n’est pas loin…

Le 12 mars 2025, le dirigeant serbe de Bosnie Milorad Dodik donne une conférence de presse. après que les procureurs de Bosnie ont ordonné à la police fédérale de faire comparaître Dodik pour l'interroger sur un prétendu mépris de la constitution du pays. (Photo STRINGER / AFP)

Les fantômes du XXème siècle ne quittent plus l’actualité : après le conflit au Moyen-Orient qui dure depuis 1947, la dislocation de l’URSS qui produit encore ses effets tragiques en Ukraine, Taïwan qui est assiégée comme jamais depuis la mort de Mao, c’est au tour des Balkans de se revenir sur la scène du théâtre des horreurs. À tel point que les historiens du futur risquent de désigner la date du 12 mars 2025 comme le début d’une nouvelle guerre de Bosnie.

Au sein de cet état multiethnique dirigé par un triumvirat depuis les accords de Dayton (1995), une entité serbe autonome s’est constituée, la République Srpska, dirigée par Milorad Dodik, président de 2010 à 2018 puis depuis 2022 après en avoir longtemps été Premier ministre. Notoirement corrompu et corrupteur, anti-LGBT, Dodik a nié que les Serbes aient commis des crimes de guerre contre les civiles bosniaques et a parlé du massacre de Srebrenica comme d’un « mythe ». Or ce pro-russe notoire, qui a décoré Vladimir Poutine de la plus haute distinction de son pays en 2023, pourrait franchir le Rubicon qui sépare la crise politique de la guerre civile.

La justice fédérale a considéré qu’il avait dépassé les bornes de la sécession après ses attaques répétées contre la constitution du pays. Le haut-représentant allemand Christian Schmidt, qui avait annulé deux lois clairement contraires à lettre et l’esprit des accords de 1995, l’a sommé de s’expliquer. Un mandat d’arrêt a été lancé le 11 mars contre lui et contre le Premier ministre Radovan Viskovic et le président du Parlement Nenad Stevandic, après qu’ils ont à deux reprises refusé de comparaître au tribunal à Sarajevo, capitale de la Bosnie. Ce nationaliste est soutenu par Belgrade, pour qui son arrestation « ouvrirait la voie à la guerre civile ». La Russie souffle sur les braises en soutenant l’idée d’une confédération ou même d’une fédération avec la Serbie, ce qui ferait éclater le pays : les 14% de musulmans bosniaques qui vivent dans l’entité serbe pourraient alors devenir des cibles.

Dans une conférence de presse aux allures de déclaration de guerre, le 12 mars, Dodik affirme que le mandat d’arrêt lancé contre lui est « motivé politiquement » et qu’il ne s’ soumettra pas. Il estime que « la situation sur le terrain dans quelques mois ressemblera à celle de la dislocation de la Yougoslavie ». Dans un pays où les habitants de la capitale longent encore les murs à cause du traumatisme du siège de 1992 à 1996, ces mots ont une sinistre résonance. Les États-Unis (rappelons que la femme de Donald Trump est slovène…) et l’Union Européenne condamnent les actions des Serbes et ont envoyé des renforts : les troupes de l’EUFOR, la force européenne d’interposition, ont été renforcées après la visite du secrétaire général de l’OTAN Mark Rutte, qui promet de « ne pas laisser un vide sécuritaire s’installer ». A l’est, la Russie a déclaré qu’une rencontre entre ses plus hauts diplomates et Dodik aurait lieu dans les prochains jours. Après l’Ukraine, le spectre de la guerre plane à nouveau sur l’Europe centrale.

Malik Henni