Macron-Bayrou : la fissure

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 13/03/2025

D’accord pour accroître l’effort de défense, les deux têtes de l’exécutif divergent sur le mode d’emploi. Dissension feutrée et manœuvres obliques…

Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre François Bayrou, lors des commémorations marquant les 10 ans de l'attaque islamiste contre le journal satirique Charlie Hebdo et le supermarché juif Hypercacher, à Paris, le 7 janvier 2025. (Photo Ludovic MARIN / POOL / AFP)

Ils n’ont pas le même logiciel. Emmanuel Macron veut aller vite et fort, François Bayrou préfère la manière douce. Face aux défis lancés par la Russie et les Etats-Unis, le chef de l’Etat considère qu’il n’y a pas une minute à perdre pour financer le surcroît de dépenses militaires. Son mot d’ordre : « des réformes, des choix, du courage ». Contraint d’imposer des décisions difficiles à une majorité qui n’existe pas – même en ce moment de (mini) union nationale – le Premier ministre veut donner du temps au temps. Hiatus…

Soudain sorti de l’enfer de l’ennui, le Président ne se contente plus de présider. Il donne des consignes au gouvernement, il interdit toute hausse d’impôt, il désigne ses pistes privilégiées en matière d’économies. Celles-ci touchent au secteur social, en particulier le temps de travail. Ses proches lâchent le morceau : le ministre Benjamin Haddad estime qu’il « faudra travailler plus » et qu’il est « baroque » de discuter du retour de l’âge de la retraite à 62 ans. Le président du COR, Gilbert Cette, autre macroniste, ajoute même qu’il faudrait au contraire « augmenter rapidement l’âge de départ ». Hurlements des syndicats…

A Matignon, on veut sauver le « conclave », qui doit remettre ses conclusions en juin. On espère que les partenaires sociaux tireront tout seuls les conclusions du nouveau contexte budgétaire, déjà fort contraint. Mais on ne veut brusquer personne, de peur de perdre les socialistes en route. Si la concertation sur les retraites tournait court, le fragile équilibre de non-censure serait brisé. Pour écarter la menace, le Béarnais a juré qu’on ne toucherait pas au système social français.

Mais le chef de l’Etat veut des résultats. Il a convié ce jeudi à l’Élysée le chef du gouvernement et une demi-douzaine de ministres, dont ceux du secteur social, pour parler du financement de l’effort de défense. Il met une pression maximum, tout en se défendant de sortir de son rôle. Il compte sur celui qu’il voulait nommer Premier ministre, Sébastien Lecornu, pour dynamiser l’action gouvernementale. Celui-ci ayant invité à une réunion de travail les dirigeants des groupes parlementaires pour les motiver, François Bayrou s’est imposé pour la présider. Ambiance.

Les solutions imaginées par Lecornu ou Eric Lombard pour diriger des investissements vers le secteur militaire seront présentées comme des alternatives à des coupes douloureuses dans notre sacro-saint régime de protection sociale. Elles seront sûrement insuffisantes pour payer la note. En drainant l’épargne vers l’industrie de défense, on aidera les entreprises concernées à se mobiliser mais ce sera à la fois coûteux et limité. L’appel au privé a un prix. Et dévier des fonds destinés au logement social accentuera la crise d’un secteur déjà mal en point. A l’arrivée, il faudra honorer les fournisseurs avec des liquidités qu’on n’a pas.

Comment le dire aux Français ? Emmanuel Macron prend des accents churchilliens en demandant un élan patriotique. François Bayrou temporise, en chantant « marchons, marchons » comme les chœurs de l’opéra qui font du surplace. Qu’elles soient favorables ou non à un renforcement de notre défense, les oppositions sont à l’affût. En attendant, à l’ouest comme à l’est, l’ennemi avance ses pions.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse