L’Interallié à Thibault de Montaigu
Nous publions à nouveau l’article écrit le 28 août par Thierry Gandillot et qu’il avait titré : «
Un coeur sabre au clair ! »
Quand son père malade le presse d’écrire sur son ancêtre Louis, capitaine des hussards fauché en 1914 dans une charge de cavalerie..
« Cœur » est l’une de très bonnes surprises de cette rentrée littéraire, et ce nouveau roman de devrait figurer en bonne place sur les listes des prix d’automne. Il en a déjà reçu un pour « La Grâce » – le prix de Flore-, qui relatait l’histoire d’une jeune débauchée, renonçant à ses excès pour trouver le salut dans un monastère. Le jeune homme s’était fait remarquer aussi par un sulfureux et réjouissant essai « Voyage autour de mon sexe » qui retraçait l’histoire de l’onanisme des grottes du paléolithique jusqu’au vibromasseur géant de Miley Cirus et les bars à orgasmes nippons.
Arrivé à l’âge de 45 ans, Thibault se voit confronté à la défaillance de son père, Emmanuel, devenu aveugle et plus ou moins grabataire. Lui qui fut un homme séduisant, cultivé, portant beau malgré des déroutes financières de haute volée de plus en plus criantes, devient dépendant de ses enfants, de son épouse Françoise Gallimard, petite-fille de Gaston, des médecins et des infirmiers. Sentant sa fin proche, il confie à Thibault, l’écrivain de la famille, d’écrire l’histoire de son arrière-grand-père Louis qui mourut dans la dernière charge de cavalerie de l’histoire de France dans une plaine de Champagne, chevauchant un robuste demi-sang dans une tornade de sabots. Brandissant son sabre, il aurait crié à ses hussards : « Allons hardi ! mes enfants. Pour Dieu et pour la France ! Là-haut, dans le grand ciel bleu, il y a de la place pour les héros. » « Tu imagines le cran de ces types, quand même, galopant ventre à terre au milieu des balles et des obus qui pleuvaient sur eux. Non, mais tu imagines… »
Cette charge d’un autre âge – la précédente avait eu lieu un demi-siècle plus tôt – était totalement suicidaire, et les hommes de Montaigu se firent découper par la mitraille. Pourquoi Louis s’était-il lancé avec l’assurance d’une mort certaine dans cette folle équipée qui lui vaudra la croix de guerre et une citation du général Foch ? Cachait-il, comme Péguy, « sous sa tunique bleu ciel et son collet brodé, un mal de vivre ou une peine de cœur ? Des inimitiés tenaces ou des problèmes pécuniaires ? Cherchait-il, comme Péguy, à racheter sa vie dans un acte éblouissant d’héroïsme ? Souhaitait-il secrètement cette mort ? »
Avançant dans ses recherches, il découvre quelques bizarreries, comme le fait que les affaires de Louis ont disparu à l’hôpital de campagne où il devait mourir, vidé de son sang. Tous ses effets à l’exception de la chevalière transmise de génération en génération chez les Montaigu. Et pourquoi, jeune encore, a-t-il quitté l’armée pendant quelques années ? Pourquoi a-t-il réintégré ensuite le 7e hussard où il fit preuve d’une telle désinvolture qu’il s’attira les commentaires acerbes de ses supérieurs quant à sa conduite indigne d’un officier ?
Thibault de Montaigu va remonter la piste, démêler les fils de cette ténébreuse affaire et découvrir la vérité. Non seulement sur l’ancêtre Louis, mais sur toute la lignée des Montaigu, affligés d’une terrible conduite d’échec à laquelle Thibault lui-même faillit succomber. « Je croyais écrire cette histoire pour mon père, alors que c’était l’inverse : cette histoire, il me l’avait offerte. » Un précieux cadeau…
Cœur de Thibault de Montaigu- Albin-Michel -330 pages, 21,90 euros