14-18 : l’économie de guerre à la française
La Russie a basculé dans une économie de guerre, considérable, les alliés occidentaux de l’Ukraine sont à la traine. Pourtant, autrefois, la France a été capable d’un formidable sursaut. Avec l’aide des femmes…
La France mobilise le 1er août 1914. En quinze jours, elle compte 4 622 000 hommes sous les drapeaux (11% de sa population totale). 4278 trains acheminent les troupes vers leurs lieux de concentration du Nord Est . Le 18 août, tout le monde est à son poste. Les Français ont fait la preuve d’une fantastique capacité d’organisation logistique. Une qualité qui s’avèrera cruciale pour mettre en place l’économie de guerre.
Dès novembre, les armées des belligérants s’enterrent, sur 650 kilomètres, des Vosges au Pas de Calais. Le conflit va durer. Donc, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Pendant les années de guerre, l’État va dépenser par an, 38 milliards de francs-or ; 33 de plus qu’en temps de paix. Car il faut fabriquer des tonnes d’armement, payer les « allocations militaires » aux soldats », celles des familles de mobilisés, des victimes de guerre , des réfugiés.
Quatre cents milliards d’euros!
L’historien Jean-Baptiste Duroselle dans « La Grande Guerre des Français 1914-1918 » (Tempus-Perrin, 1994, 1998, 2002) cite le chiffre de 223 milliards de francs de l’époque, soit près de 400 milliards d’euros d’aujourd’hui. Ce serait le total des dépenses de l’État français de 1914 à 1919.
La Banque de France fait des avances à l’État. Les emprunts se multiplient. En direction des Français avec les bons de la défense nationale. Puis auprès de l’étranger. En 1917, la situation est catastrophique. Heureusement les États-Unis entrent en guerre. Le Trésor américain paiera.
La France dispose alors d’une puissante industrie privée reconvertie dans l’armement : Schneider, Le Creusot, Saint-Chamond. Les avances d’État aux industriels, comme les subventions, voire des réquisitions facilitent les choses. Et ça marche. En juin 1916, on se bat à Verdun et l’offensive sur la Somme s’annonce. La France produit alors 151 000 obus de 75 mm par jour, 6500 de 105 mm, 14 700 de 120 mm et 235 mm, 17 000 de 155 mm et 235 mm.
En 1914, les arsenaux sortaient 400 fusils par jour. Deux ans plus tard, c’est 2565. 7 millions de cartouches de fusil sont fabriquées quotidiennement. Le nombre de mitrailleuses Hotchkiss produites par mois est multipliée par 170 en quatre ans… En 1918, 3870 chars sortent des usines et la France met en ligne 4400 avions .
Ce colossal effort exige toujours plus de main-d’œuvre. Les ouvriers sont rappelés du front. Mais ce sont les femmes qui vont massivement investir tous les secteurs d’activité. Elles envahissent, dès 1915, les usines d’armement. Deux ans plus tard, elles seront 420 000 « obusettes et « munitionettes » , sur les chaines plus de 10 heures par jour.
À la campagne, 850 000 femmes ont pris en main les exploitations agricoles . Elles sont à la forge, aux champs, dans les vignes, les étables. En ville, les voilà allumeuses de réverbères, receveuses du tramway, poinçonneuses de ticket de bus ou de métro. Certaines dirigent les entreprises de leur mari, d’autres se dévouent aux blessés sur le front ou à l’arrière.
Elles n’auront le droit de vote que 30 ans plus tard. Mais la question de leurs droits est désormais posée. En fait, l’économie de guerre a tout bouleversé . La France ne sera plus jamais la même.