1786 : un accord libre-échange… calamiteux               

par Pierre Feydel |  publié le 29/03/2024

Les Sénateurs ont rejeté le CETA, traité de libre-échange entre le Canada et l’UE. L’Histoire ne leur donne pas tort

Anticipation, ou la mort prochaine du Traité de commerce français. Caricature en 1787 de James Gillray anticipant le conflit au Parlement britannique sur le traité d'Eden-Rayneval.

Le 3 septembre 1783, le Traité de Versailles met fin à la guerre d’Indépendance américaine. Est ainsi officialisée la naissance des États-Unis d’Amérique. Le document est signé par les deux ministres des Affaires étrangères, pour le compte de leur souverain respectif, Louis XVI et Georges III. Des représentants de L’Espagne assistent à la signature. C’est la paix entre les deux puissances, les Français ayant apporté aux « insurgents » une conséquente aide militaire. Le traité prévoit que les deux pays rétabliront la liberté des mers et celle du commerce. Et le 26 septembre 1786, trois ans plus tard, un accord commercial de libre-échange est conclu entre Paris et Londres.

Les idées libérales font leur chemin, portées par l’Écossais Adam Smith ou par les physiocrates français tel François Quesnay qui, eux, veulent rompre avec le protectionnisme colbertiste. Le traité de commerce Eden-Rayneval, du nom de deux diplomates qui l’ont signé, prend effet de 10 mars 1787. Il prévoit une baisse des droits de douane.

Sur les produits français, par exemple, la taxe d’entrée en Grande-Bretagne est limitée à 12 % pour les vins et spiritueux ainsi que pour les produits de luxe (mode, mobilier…). Sur les produits anglais entrant en France, 12 % sont aussi perçus sur les étoffes de laine et de coton, la faïence et les poteries, les fers et la quincaillerie. En revanche, la soie reste interdite à l’importation en Angleterre .

Tout le monde est content. Les Français estiment que la richesse de leur agriculture est un avantage conséquent et qu’ils peuvent laisser les Anglais développer leur production manufacturière. Et puis, comment une île de 7,8 millions d’habitants pourrait-elle s’imposer à un pays de 28 millions d’âmes. Erreur fatale.

Les Anglais ont pris, grâce à la première révolution industrielle, une avance considérable. Les exportations britanniques en France sont passées de 14 millions de livres en 1784 à 64 millions en 1788. Pendant la même période, les exportations françaises outre-Manche n’ont progressé que de 10 millions de livres. Les produits anglais sont moins chers et parfois de meilleure qualité. Le textile va souffrir. Les Anglais ont pris une avance certaine avec leurs machines à carder, mais aussi dans les techniques de filage et le tissage.

Les toiles anglaises envahissent le continent. Les fabricants français baissent les salaires et licencient. Les chambres de commerce françaises tentent d’aider les industriels à acheter de machines anglaises telles des « mule-jenny » qui produisent un fil solide, fin, de section constante. Mais les manufacturiers n’ont pas les moyens d’investir. Leurs revenus baissent.

Et pour ne rien arranger, les mauvaises récoltes de 1788 et 1789 multiplient les disettes. Le peuple gronde. La manufacture de papiers peints Reveillon est pillée par ses ouvriers. Ses produits sont concurrencés par ceux venus d’outre-Manche. Elle a du réduire ses effectifs. La troupe remet de l’ordre brutalement. L’établissement est proche de la Bastille. Nous sommes le 28 avril 1789…

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire