1851, le plébiscite qui a tué la République

par Pierre Feydel |  publié le 05/07/2024

Le peuple n’a pas toujours raison. Il peut massivement se tromper et, par le suffrage universel, remettre en cause la démocratie elle-même. La preuve…

Charles-Louis-Napoleon Bonaparte (1808-1873). Fondation Napoléon / Photo12 via AFP

Cela commence par un coup d’État, le 2 décembre 1851, jour anniversaire du sacre de Napoléon 1er (1804) et de la bataille d’Austerlitz (1805). Louis-Napoléon Bonaparte a été élu président de la deuxième République au suffrage universel masculin le 11 décembre 1848, avec 74,2 % des voix. Son électorat hétéroclite possède une solide base rurale, des bourgeois hostiles aux « partageux », mais aussi les ouvriers parisiens. La légende impériale a fait le reste. Trois ans plus tard, le jeune président (il a 43 ans) constate l’impopularité du « Parti de l’ordre » qui règne à l’Assemblée nationale et qui vient, par une nouvelle loi électorale, de supprimer le suffrage universel dont il est l’élu. Il propose une réforme de la Constitution pour le rétablir : la révision est rejetée par l’Assemblée. La situation s’envenime, le président en a assez. Et il sait que l’Armée lui est acquise.

Dans la nuit du 1er au 2 décembre, la troupe s’empare de la capitale, arrête les opposants. À 6h.30, des appels sont placardé sur les murs. Paris est étrangement silencieux, comme vide. En province, la résistance s’organise, mais elle est écrasée en quelques jours. La répression est féroce et les exécutions sommaires ramènent le calme. Louis-Napoléon Bonaparte rétablit le suffrage universel. Les Bonapartistes estiment que la démocratie directe est plus forte que la Constitution et que l’appel au peuple légitime tout. Donc le plébiscite s’impose. La consultation nationale du 20 et 21 décembre fait la proposition suivante : « Le peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées par sa proclamation du 2 décembre 1851 ». Un blanc-seing en somme. Le « oui » l’emporte avec 92,03 % des exprimés…

Mort d’une République

Un régime présidentiel assez autoritaire se met en place. Les députés démocrates-socialistes sont condamnés à l’exil. Plus de 10 000 personnes fuient la police. Victor Hugo ou Edgar Quinet ont évité l’arrestation, d’autres sont bannis. Les magistrats des commissions mixtes qui organisent la répression s’en donnent à cœur joie. Les Français semblent approuver le prince-président, la IIème République est en train de mourir, Louis-Napoléon précipitant son agonie. Les libertés souffrent et celle de la presse est sérieusement limitée, toute création de titre nécessitant une autorisation administrative. La Constitution est modifiée, rendant le Président seul responsable devant le peuple et ayant seul l’initiative des lois. Les ministres ne rendent compte que devant lui, lLes haut-fonctionnaires et les élus prêtent serment devant lui, iIl peut seul déclarer la guerre et conclure les traités.

Le coup de grâce sera donné par un autre plébiscite des 21 et 22 novembre 1852. L’intitulé affirme : « Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis- Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa dépendance directe, légitime et adoptive… » Le sénatus-consulte du 7 novembre avait déjà restauré l’Empire. Le vote n’est qu’un habillage pseudo-démocratique : le « oui » l’emporte avec 96,86 % des exprimés.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire