2/ Daniel Mayer : sauver l’honneur du socialisme

par LeJournal |  publié le 24/07/2023

Titi parisien, ami de Blum, juif et socialiste, Mayer fut l’un des premiers résistants de la SFIO, qui a reconstruit le parti sous l’Occupation et défendu toute sa vie la cause d’un humanisme intransigeant

Photo datée du 17 novembre 1945 de Vincent Auriol (3ème G) élu socialiste, membre des Assemblées et ministre d'Etat, et de Daniel Mayer (C), ancien président du Conseil constitutionnel, membre du Conseil national de la Résistance et dirigeant de la SFIO. (Photo AFP)

C’était un petit homme rond au nez pointu, dont l’œil frisait derrière des lunettes de patriarche. Aux yeux des jeunes militants de la 18e section du PS, qui se réunissait dans les poussiéreux locaux de la rue de Trétaigne en 1972, c’était une figure éminente et vaguement légendaire qui sortait des temps héroïques du Front populaire et de la Résistance.

Dans les années 1920, Gavroche de Ménilmontant ayant quitté l’école à quatorze ans, Mayer est révolté par l’affaire Sacco et Vanzetti, ces deux anarchistes italiens condamnés à mort par la justice américaine sur la foi de preuves douteuses. Il adhère à la SFIO et devient vite, grâce à son esprit brillant et enthousiaste, journaliste au Populaire, chargé de la rubrique sociale.

Travaillant dans le même couloir que Léon Blum qui écrivait tous les jours son article de « Une » au retour de la Chambre, il devient son ami. En juin 1936, il court les usines occupées et fait vivre dans le Populaire la fièvre des grandes grèves ouvrières, puis couvre avec précision l’aventure difficile du gouvernement de la gauche.

En 1938, Blum déchiré parle du « lâche soulagement » que lui inspirent les accords de Munich signés par Daladier, Chamberlain et Hitler. Mayer n’hésite pas : il milite avec force contre Munich, voyant, comme Churchill, qu’ils entraîneront à la fois le déshonneur et la guerre.

En 1940, dans l’effondrement général, Blum est impuissant, symbole d’une Troisième République discréditée par la défaite. À la différence de tant de ses camarades, Mayer condamne hautement l’armistice, rejette le Maréchal et entre en dissidence.

À Marseille où il s’est replié avec Cletta, son épouse, il s’attelle à la reconstruction du parti à la base, fort des encouragements de Blum emprisonné par Vichy, puis déporté à Buchenwald, loin des compromissions pétainistes d’une bonne partie du groupe parlementaire. Il fonde le Comité d’action socialiste et commence à sillonner la France dans des trains incommodes sous de fausses identités pour rallier à la Résistance ses camarades déboussolés.

Il est juif, résistant et socialiste : trois bonnes raisons d’être arrêté, torturé et exécuté. Mayer, qui se change en « Mayet », échappe dix fois à la police, se fait le messager infatigable du socialisme résistant, assurant la liaison entre Blum emprisonné et ses camarades des sections reconstituées.

Il devient secrétaire général du parti clandestin à 32 ans, passant quatre longues années dans les trains et les hôtels miteux pour porter la bonne parole, organiser les fédérations, négocier avec les mouvements, participer au Conseil national mis en place par Jean Moulin. Blum le charge d’aller à Londres pour transmettre à De Gaulle le soutien officiel de la SFIO à la France libre.

De Gaulle le reçoit froidement, l’entretenant de ses dissensions avec les Anglais et les Américains. Dépité, il demande une deuxième audience et plaide la cause de la Résistance intérieure. De Gaulle s’adoucit et lui confie une lettre pour les résistants. « Je repars demain, dit-il à une amie de Londres, et j’ai peur. » Il échappe encore à la Gestapo et le jour du défilé de la Libération, sur les Champs-Élysées, il est au premier rang du cortège aux côtés du Général.

En 1946, Blum et Mayer, professant un socialisme humaniste, réunissent un congrès pour que leur mandat soit prorogé à la tête du parti. Mais les militants sont saisis d’un prurit orthodoxe et c’est un prof d’anglais du Nord, Guy Mollet, qui est élu secrétaire général sur la base d’une motion au marxisme intransigeant.

Taxé de réformisme, Mayer est néanmoins ministre des Affaires sociales et porte sur les fonts baptismaux la Sécurité sociale naissante. En 1956, Mollet devient président du Conseil en pleine guerre d’Algérie. Au lieu de faire la paix, comme promis pendant la campagne, il intensifie la guerre.

Paradoxe des idéologues : c’est Mayer « le droitier », « l’humaniste », qui dénonce sa politique coloniale et c’est Mollet, le marxiste pur et dur, qui couvre la torture, les exécutions sommaires et les camps de regroupement.

À force de critiques, Mayer est exclu de la SFIO. Il rejoint le PSA de Depreux et Savary, bientôt changé en PSU, que dirigera Michel Rocard. Entretemps, Mayer a quitté la carrière parlementaire pour devenir le président de la Ligue des Droits de l’Homme.

En 1969, il rejoint le nouveau Parti socialiste arraché à sa majorité molletiste et soutient la rénovation conduite par François Mitterrand.En 1981, le nouveau président élu lui témoigne sa reconnaissance en le nommant à la tête du Conseil constitutionnel.

Trois ans plus tard, il cède sa place à Robert Badinter et se retire dans un petit pavillon de banlieue parisienne avec Cletta, parmi ses livres et ses souvenirs. Avant de disparaître définitivement de la scène en 1996, blumiste jusqu’à son dernier souffle, il livre un ultime message politique : « après la chute du Mur de Berlin, le Parti socialiste devait reprendre à son compte l’espérance ouvrière jusque-là incarnée par le Parti communiste. »

Vieille figure d’un passé en couleurs sépia, il n’a pas été écouté. Pourtant, encore une fois, et pour la dernière, il avait raison.

LeJournal