2-Une culture millénaire

par Pierre Feydel |  publié le 10/05/2024

Depuis plus de 2500 ans, les Chinois espionnent selon des préceptes toujours valables. Même si aujourd’hui les pratiques sont plus agressives

Capture écran-

Les premières guerres secrètes des Chinois se passent entre eux, à l’époque de ces « royaumes combattants » qui s’affrontent de 770 à 475 avant notre ère, comme les cités grecques de nos temps antiques. La « chronique des Printemps et des Automnes », le célèbre « Zuo Zhan » raconte ces affrontements épiques. On y découvre des personnages héroïques, telle la très belle Xi Chi, qui séduisit et provoqua la chute du roi Wu de Nankin. Déjà les espionnes chinoises possèdent un art de la séduction sans pareil.

C’est à partir des péripéties de ces conflits, en les codifiant que Sun Tzu rédige son très célèbre traité « L’Art de la Guerre ». L’ouvrage qui circule à partir de l’an 510 énonce dans son dernier chapitre, le 13ème, les différentes catégories d’espions. Il en distingue cinq : « les agents indigènes, les taupes, les agents doubles, les agents provocateurs et les informateurs itinérants. »

Une typologie toujours d’actualité et ce général, maitre ès stratégie, ajoute : « Lorsque ces cinq types d’agents sont tous à l’ouvrage simultanément et que personne ne connait leurs procédés, ils constituent le “trésor du souverain” ». Évidemment, pour ce sage qui prône d’abuser l’ennemi jusqu’à ce qu’en pleine confusion, affolé par les supposées manœuvres des armées adverses, il s’avoue vaincu, sans qu’aucune bataille n’ait lieu, le renseignement est bien entendu primordial.

Un autre ouvrage “Les 36 stratagèmes” recueil d’axiomes stratégiques date, lui, de la dynastie Ming entre le XIVème et le XVIIème siècle est tout entier dédié à un art de la ruse parfaitement d’actualité, où les actions de renseignement, de manipulation ou de provocation ont toutes leur place. Aujourd’hui, les services de renseignement chinois fort de cette culture millénaire appliquent à la lettre Sun Tzu : “Ayez des agents partout, soyez instruits de tout, ne négligez rien de ce que vous pouvez apprendre.” Une règle pour des agences d’espionnage partout à l’offensive.

 Certains estiment que l’art chinois de la guerre secrète remonte à plus de 5000 ans, bien avant Sun Tzu. Peut-être. Mais le général chinois exprime une philosophie du conflit très différente de la nôtre. Si “la France s’est faite à coups d’épée” comme disait le général de Gaulle, la Chine se serait-elle faite à coup d’intrigues ? De fait, la conflictualité à la chinoise était loin de la façon violente dont l’Occident considère la guerre. La pratique de la ruse permettait d’éviter les conflits frontaux. Est-ce toujours vrai ? L’impérialisme économique chinois se déploie avec force. La République populaire s’arme, menace, s’allie avec les bellicistes russes, laisse faire les provocateurs de la Corée du Nord….

Est-ce les Soviétiques, pour une part leur mentor en matière d’espionnage avant même l’avènement de la République populaire, qui ont introduit dans l’art chinois du renseignement cette agressivité sans limites manifestée aujourd’hui ? On est désormais en tout cas bien loin de l’humanisme confucéen.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire