3/Piscines et bassines: le trou noir de l’eau
Un bien public peut-il être privatisé par une minorité d’utilisateurs ? C’est la problématique à laquelle le gouvernement doit répondre
Avec 3,4 millions de piscines privées, la France est le pays d’Europe le mieux doté pour barboter en famille. À raison d’une taille moyenne de 29 m2 et d’une capacité de l’ordre de 40 m3, le total de l’eau ainsi stockée dépasse les… 120 millions de m3.
Les professionnels du secteur ont beau jeu de souligner que ces piscines ne sont jamais vidées et que cette eau stockée n’est donc pas renouvelée chaque année. Mais ils doivent concéder que la remise à niveau, à cause de l’évaporation, est de 15 m3 par an par piscine.
Rapportée à la consommation française d’eau potable de 3,7 milliards de m3 par an, la France consacre ainsi environ 1,3 % du total consommé au plaisir de barboter.
La consommation de Marseille…
Le bilan des piscines peut apparaître comme un moindre mal. En réalité, avec leurs besoins de 51 millions de m3 d’eau à renouveler par an, les piscines absorbent autant d’eau potable qu’une ville de 900 000 habitants, c’est-à-dire comme Marseille.
Certes, il existe bien d’autres sources de déperdition d’eau, comme les fuites sur les réseaux de distribution qui font perdre jusqu’à 20 % des volumes passant par les canalisations. Mais dans un contexte de restrictions d’eau de plus en plus nombreuses, l’enjeu va consister à remettre en question ce qui, dans nos modes de vie, n’est pas indispensable.
Bassines et bien public
Qui peut faire quoi de l’eau, ce bien public vital pour tous, quand elle vient à manquer ? C’est le problème soulevé par les mégabassines du type de celle de Sainte Soline. Au nombre d’environ 130 en France, des centaines d’autres seraient en projet. Ces « retenues de substitution » destinées à l’irrigation au printemps et en été sont alimentées par pompage en hiver des nappes phréatiques. Or ces nappes ne se reconstituent plus que difficilement.
Les groupements d’agriculteurs à l’origine de ces projets, financés partiellement sur fonds publics, considèrent sécuriser ainsi leurs productions en palliant le manque d’eau en période de sécheresse. Mais les opposants dénoncent la privatisation d’un bien commun lorsque l’eau des nappes souterraines et des cours d’eau est détournée vers les mégabassines pour n’être utilisée que par les agriculteurs partie prenante du projet.
Pour un statut de l’eau
Les partisans affirment ne pomper que l’excédent des nappes phréatiques et que leurs captages sont réalisés sous l’autorité du préfet du département. Les opposants dénoncent, eux, l’absurdité qui consiste à stocker de l’eau à l’air libre dont une partie, s’évapore forcément, alors que les épisodes de sécheresse et la baisse des précipitations se traduisent par un nombre croissant de nappes phréatiques en dessous de leur étiage. Et insistent sur la nécessité de remettre en question un modèle d’agriculture productiviste.
Pour les piscines comme pour les bassines, la problématique repose sur le statut de l’eau: peut-elle être captée par une minorité d’utilisateurs lorsqu’une majorité en manque ? De la réponse découle toute la gestion de l’eau pour les piscines et les bassines.