Valsons, cher Milan!
En privé, l’ auteur de « L’insoutenable légèreté de l’être », était d’abord un ami précieux, déchiré et sensible. Un homme aussi irremplaçable que l’écrivain que nous venons de perdre
« La fête de l’insignifiance », comme le titre de son dernier livre, de 2014, sonne à nos oreilles aujourd’hui ! Un livre, comme il était, léger et grave, profond et ironiquement désabusé. « L’insoutenable légèreté de l’être », autre livre dont le titre, résonne souvent à mes oreilles dans tant de circonstances de la vie, et particulièrement aujourd’hui ou j’apprends sa disparition.
J’ai eu la chance de le rencontrer souvent jusqu’à ce qu’il sombre dans un état qui ne permettait plus de lui parler.
Les déjeuners avec Milan et Vera étaient toujours délicieux. Le rite était le même : avec son pendule, Vera, par superstition, vérifiait que les plats pouvaient être dégustés sans danger, Milan la laissait faire en souriant, puis la conversation – presque toujours la même – s’engageait : l’Europe, les déceptions en Tchécoslovaquie et en Europe de l’Est, l’évolution du monde et, naturellement la littérature.
Étudiant, j’avais adoré « La plaisanterie » » ´et « Risibles amours », ces livres à merveille qui nous racontaient bien mieux que des essais, la vie quotidienne en Tchécoslovaquie, la bêtise du totalitarisme soviétique, les innombrables façons d’y résister, et ces histoires d’amour et d’amitié qui faisaient malgré tout le sel de la vie. Ils disaient tout du monde de l’Est.
Milan n’aimait pas beaucoup sortir, il avait systématiquement refusé toutes les émissions que je lui avais proposé de réaliser autour de lui, ou sur lui, à sa guise, sur l’antenne d’ARTE.
Retiré souvent sur les plages du Nord, qu’il affectionnait particulièrement, il n’aimait pas se montrer, ni parler de lui : mes livres sont là pour ça ´disait-il. Inlassablement, il continuait à écrire des nouvelles, des romans, à écrire sur le roman, sur l’écriture.
Curieux du monde et des idées, il venait de temps autres écouter une lecture ou un débat, mais s’était éloigné avec l’âge de la scène littéraire, lui qui y avait occupé une place si éminente. J’avais réussi à faire inscrire « Jacques le fataliste ´au répertoire de la comédie française, sa pièce de théâtre, à laquelle il tenait beaucoup. L’esprit de Diderot lui tenait à cœur, il en était si proche !
Son œuvre est remarquable. L’homme ne l’était pas moins, disponible, attentif, d’une grande gentillesse, parlant peu, mais à bon escient, un grand européen, sûrement déchiré, s’il en avait eu conscience, par les drames actuels. « Le livre du rire et de l’oubli » ou « La valse aux adieux » ?
Rions et valsons, cher Milan, et avec toi, toujours.