Harcèlement à Saint-Denis : le festival des non-dits
Sur un chantier de Saint-Denis, des femmes archéologues sont victimes d’agressions verbales quotidiennes de la part d’habitants. Aussitôt, les œillères idéologiques se mettent en place…
Toujours cette pieuse manie de ne pas voir ce qui dérange… À Saint-Denis, dans le chantier archéologique « préventif » (avant travaux publics) ouvert en centre-ville, sept ou huit jeunes femmes archéologues sont victimes depuis des semaines d’un harcèlement de rue systématique. Des passants – mais aussi des passantes – leur reprochent leurs tenues légères (il fait chaud, elles sont en débardeurs), leurs poses « suggestives » (elles sont accroupies pour gratter la terre), leur activité, qui consiste, entre autres, à mettre à jour des ossements (c’est sacrilège) et même leur simple présence (ce n’est pas un métier de femmes, leur disent certaines femmes, elles feraient mieux de rester à la maison).
La mairie a apposé des affiches pédagogiques pour inciter à un comportement plus respectueux : elles ont été arrachées. Les responsables du site envisagent de porter plainte. Les édiles (socialistes) ont prévu de placer des caméras de surveillance et d’infliger des amendes aux contrevenants.
Certains incriminent de manière générale le machisme ambiant. Mais il est une hypothèse qu’on n’a pas encore formulée : il ne s’agit pas seulement du machisme en général, mais aussi des comportements en vigueur dans certains milieux musulmans, ou maghrébins, qui visent à stigmatiser les femmes qui n’obéissent pas aux injonctions de la tradition. Dans certains quartiers, cette mentalité tend à s’ériger en norme sociale, imposée par toutes sortes de moyens de pression.
Témoignage de Mohammed, qui a vécu 27 ans à Saint-Denis : « À Saint-Denis, on vit séparément selon les lois de l’islam. Ça ne touche pas les blancs ou les noirs qui ne sont pas musulmans, mais les musulmans. Les femmes doivent rester à la maison, sortir voilées, ne pas fréquenter des hommes (…) Avant c’était peut-être plus discret, mais maintenant, comme les intégristes ont de l’influence, ça se fait au grand jour ». Si le diagnostic est juste, on devine l’arrière-plan de l’affaire. Les musulmans sous influence intégriste de Saint-Denis sont indisposés par cet exemple d’autonomie féminine sous prétexte d’archéologie, étalé au cœur de leur quartier.
Témoignage isolé, exagération ? Peut-être. Mais il y a peu de chances qu’on sache à quoi s’en tenir : ni Le Monde, ni Libération n’ont soufflé mot de cette affaire, sortie à l’origine par BFM. Les seuls à l’avoir rapportée sont Le Figaro, CNews, et Valeurs Actuelles, avec les arrière-pensées xénophobes qu’on devine. Ainsi le silence gêné des uns favorise la propagande des autres.
Pourtant il y a plus à dire. En butte à un harcèlement local, de voisinage à Saint-Denis, les femmes archéologues s’estiment également victimes de comportements sexistes à l’intérieur de leur profession. Un article du Monde, plus ancien, bien informé, nous révèle l’existence d’une exposition, « Archéo-Sexisme », qui, pendant plus d’un an, a fait un tour de France des campus pour alerter sur le sexisme qui règne dans le milieu universitaire de l’archéologie.
Béline Pasquini, coprésidente de l’association Archéo-éthique, détaille pour le journal les agressions dont sont victimes, les femmes archéologues : blagues salaces, attouchements, obscénités, comportements déplacés et même agressons sexuelles caractérisées, toutes attitudes favorisées par la « culture chantier » qui isole sur les sites de fouilles des groupes mixtes vivant comme dans des colonies de vacances, avec proximité permanente, hiérarchies masculines et soirées arrosées après le labeur.
Pour certains, ce rappel permettra de noyer le poisson en accusant indistinctement « le machisme systémique », qui est de tous les milieux. D’autres auront tendance à passer sous silence les incidents de Saint-Denis au nom de « l’intersectionnalité », qui désigne les musulmans comme des victimes superlatives, et à qui on doit passer plus facilement certains écarts issus de leur tradition, tandis que le sexisme « occidental » doit subir l’essentiel de l’opprobre. Indice : aucune association féministe n’a pour l’instant réagi aux incidents de Saint-Denis.
Alors qu’il y a une manière plus simple de décrire ces faits, dans un esprit qu’on n’ose qualifier « d’universaliste ». Il existe un sexisme d’origine traditionnelle et religieuse dans les « banlieues de l’islam » et un autre, lié aux préjugés de genre qui sévissent toujours dans de nombreux milieux en Occident, comme l’a démontré le mouvement @metoo.
Quoique différents, les deux doivent être combattus avec la même énergie, sans considération de culture particulière ou d’origine sociale, comme il sied dans une République qui prétend à l’égalité des droits.