76eme Festival de Cannes : anatomie d’un succès
En crise, le cinéma ? On se plaît à le répéter : la concurrence des plates-formes, les effets persistants de la pandémie de Covid, la guerre d’Ukraine, le désintérêt des plus jeunes obsédés par leur petit écran personnel pour s’occuper du grand, tout cela compose un tableau déprimant. Et pourtant…
Quelques jours au festival de Cannes – suffisants pour un diagnostic – laissent une impression radicalement différente. Le cinéma se plaint, mais le cinéma se redresse. Osons même un paradoxe : tout le monde continue de parler de la crise, au moment où le cinéma donne le sentiment d’en sortir.
Un succès d’abord. Plus de 48 000 accréditations,13500 au marché du film, de nouvelles sections, un jury prestigieux, une sélection variée, dans laquelle les Américains, parfois boudeurs, sont revenus en force avec les plus grandes stars d’Hollywood, de Scorsese à Di Caprio et De Niro, de Harrison Ford à Scarlett Johansson, sans compter les grands noms du cinéma mondial, quasi tous présents, à un moment ou un autre. Le 76ème Festival montre la vitalité du septième art et le rôle de Cannes dans sa reconnaissance internationale.
Les grands noms, Kaurismaki, Moretti ou Bellocchio, nous livrent d’excellents films. Il faut aussi saluer un premier film africain, Banel et Adama, de Romata Toulaye Sy, une jeune réalisatrice. Les plus récents font sensation : Justine Triet, avec Anatomie d’une chute, Zone of interest, de Jonathan Glazer, les favoris à ce jour pour la palme ou des prix au palmarès.
Certes, que de changements ! L’arrivée des plateformes, financeurs et acteurs majeurs d’une industrie en pleine transformation dans laquelle les cartes sont redistribuées. Au profit de qui ? Peut-être du cinéma : un rééquilibrage commence à se manifester. La présence obsédante, parfois obscène de l’industrie du luxe, des grandes marques qui transforment la Croisette en vitrine publicitaire, un reflet de notre société. La puissance des Américains et des GAFA qui devraient contraindre l’Europe à réagir rapidement pour continuer à exister. La création de douze pôles de productions sur le territoire français, annoncée par la ministre est une bonne chose, nous avons du retard. Il faut aller plus vite, plus loin, et plus fort.
Notre culture française et européenne a besoin d’expressions autonomes fortes, de créateurs soutenus, notamment par la puissance publique, d’éducation surtout pour les plus jeunes. Mais si l’on regarde les chiffres, la fréquentation en salles reprend un peu partout, particulièrement en France, inégalement ailleurs certes, et encore fragile. Avec une concentration sur les gros films, surtout américains, mais pas seulement : Les Trois Mousquetaires sont déjà à 3 millions d’entrée en France et à 2 millions à l’étranger.
Une bulle de champagne, Croisette aidant, qui fait oublier le chaos du monde ? Pas seulement.
Il est vital pour nos sociétés que l’expression des artistes soient exposée, célébrée, connue. Ils disent le monde et leur regard nous aide à le comprendre, surtout si ce n’est pas le nôtre : futiles ou ratés, magnifiques ou généreux, les films sont là pour pénétrer leur monde et cette -créativité, cette liberté, ces échanges sont inestimables.