8 mai 1945 : 70 ans après, les démocraties en danger

par Laurent Joffrin |  publié le 08/05/2023

Pendant un demi-siècle, la liberté n’a cessé de progresser dans le monde. Aujourd’hui, elle est une nouvelle fois menacée, à l’extérieur et à l’intérieur

Deuxieme guerre mondiale (1939-1945) : 8 mai 1945 sur les Champs Elysées a Paris. - ©Usis-Dite/Leemage

Après le couronnement britannique, le recueillement français. Emmanuel Macron a célébré, à Paris et à Lyon, la victoire sur le nazisme. Hommage aux Alliés qui ont abattu les fascismes, à la Résistance, qui a maintenu la France dans l’honneur quand l’extrême-droite vichyste s’abîmait dans l’infamie. Triomphe des démocraties alliées à l’URSS de Staline qui a payé le plus lourd tribut à la victoire, après six ans de combats aussi incertains qu’héroïques.

Le temps des victoires

Ce fut l’histoire d’un redressement miraculeux. Comme le disait Churchill, dont le pays résista seul à Hitler pendant un an après le désastre français de 1940 : « jusqu’en 1942, nous n’avons connu que des défaites ; après 1942, nous n’avons connu que des victoires ». Il fallut en effet attendre trois longues années de reculs incessants devant les forces de l’Axe pour les victoires de Midway, d’El Alamein et de Stalingrad permettent enfin de renverser le courant de l’Histoire. J, jusqu’au 8 mai 1945.
Curieusement, l’aphorisme churchillien s’applique aussi bien, dans une formule inversée, à l’histoire de l’après-guerre., ce qui doit être, pour tout démocrate, source de méditation et d’action.

Jusqu’en 2001, nous n’avons connu que des victoires ; depuis 2001, seulement des défaites. La Libération est suivie d’un rétablissement social et économique spectaculaire : l’Europe reconstruite en deux décennies, l’État-providence s’installe, les sociétés démocratiques grâce à l’alliance de la science et de l’économie, accèdent un niveau de prospérité inédit dans l’Histoire.
Successivement, la démocratie s’établit chez les vaincus jusque-là voués au fascisme, l’Allemagne, l’Italie et le Japon, et l’Europe s’unit autour de valeurs de liberté.

Dans une deuxième phase, l’Espagne, la Grèce et le Portugal se débarrassent leur régime dictatorial. Vient ensuite le tour de l’Amérique latine, où les régimes autoritaires tombent les uns après les autres. Enfin à la fin de la guerre froide, les pays de l’Est européen et la Russie s’émancipent du communisme totalitaire.

Le mouvement semble irrésistible après la chute du Mur de Berlin en 1989, à tel point que dans les années 1990, un essai proclame « la fin de l’Histoire », c’est-à-dire la domination finale des démocraties libérales.

Court moment d’euphorie

Le 11 septembre sonne la fin de cette conquête incessante. La poussée islamiste conteste l’hégémonie des régimes de liberté. L’Iran, le Soudan et l’Afghanistan tombent sous la coupe des intégrismes, dont la branche terroriste répand la terreur jusqu’au cœur des démocraties occidentales.

Les guerres livrées en retour, en Irak, en Syrie ou en Afghanistan, échouent à implanter la démocratie, les plongeant dans le chaos et le retour en force des tyrannies. Les empires autoritaires relèvent la tête en Russie, en Chine, en Turquie, tandis que la Corée du Nord, le Viêtnam et Cuba s’enferment dans un communisme hors d’âge.

Alors qu’on la croyait naïvement facteur de paix et de liberté, la mondialisation libérale, tout en sortant de la misère des centaines de millions de personnes, principalement en Asie, suscite des réactions de plus en plus virulentes. Au Sud, les valeurs occidentales sont rejetées avec une force croissante ; au nord, les classes populaires bousculées par le libre-échange se tournent de plus en plus vers des forces populistes et nationalistes.

Si bien que l’histoire, loin de finir, bégaie. Encore dominantes, les grandes démocraties doivent faire face à l’agressivité de la Russie de Poutine, l’Iran des mollahs et la Chine de Xi Jinping. Les printemps arabes ont tourné court, débouchant sur le retour des régimes autoritaires au Maghreb et au Proche-Orient.

Même les démocraties…

Au sein même des démocraties, avec Trump, Orban, Bolsonaro, Meloni ou Le Pen, les brexiters ou les gouvernements illibéraux de l’est, la logique identitaire prend le pas sur celle des droits humains. Triomphants il y a vingt ans ; les amis de la liberté sont partout sur la défensive.
Placés devant de nouveaux défis planétaires, le dérèglement climatique, l’inégalité sociale, l’instabilité financière, ils peinent à formuler une stratégie cohérente, souvent lâchés par une grande partie des classes populaires, grandes perdantes de la mondialisation.

Tel est le nouveau paysage où évoluent désormais les forces de progrès et de liberté : un mode où les valeurs démocratiques ne vont plus de soi, où les tyrannies sont à l’offensive, où les démagogues prospèrent.

Ainsi la commémoration du 8 mai prend un sens très actuel et dramatique : le grand combat des années 30 et 40, entre dictatures et démocraties, est loin d’être fini. Au contraire.

Laurent Joffrin