A l’extrême de l’extrême-droite

par Yoann Taieb |  publié le 03/02/2024

Des enjuivés aux Illuminati…le mouvement d’Alain Soral, qui se veut national-socialiste, prône les thèses conspirationnistes les plus folles et affirme un antisémitisme radical. L’idéologue a longtemps entretenu un flirt poussé avec le Rassemblement National

Alain Soral (s'adresse aux journalistes au palais de justice de Paris, en 2015, pour son procès pour avoir publié sur Internet une photo de lui prise à Berlin devant le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe, tout en faisant la "quenelle", un geste considéré comme antisémite - Photo LOIC VENANCE / AFP

L’extrême droite, en France, foisonne d’obédiences diverses. Réunies à la fois par la haine des musulmans et leur antisémitisme historique et structurant. Dans cette galaxie,  « Égalité et Réconciliation » , le groupe d’Alain Soral se distingue par sa radicalité.

Dans les années 2000, il a d’abord trainé au Parti communiste, adopte une certaine forme d’ouvriérisme. Selon lui, la lutte des classes oppose une  bourgeoisie mondialiste  et enjuivée contre des Français laborieux de souche ou pas. Lorsqu’il rejoint le Front national, il grimpe très vite dans la hiérarchie et devient, en novembre 2007, membre du comité central. Jean-Marie Le Pen espère que Soral saura conquérir un nouvel électorat. En 2009, l’essayiste exige d’être tête de liste du FN pour les élections européennes. Marine Le Pen refuse. Il claque la porte .

Dès lors, ce « penseur » se radicalise. Obsédé par le Juif , critique virulent de la démocratie libérale, admirateur de toutes les figures fascistes ou nazies, partisan du culte de la force et de la virilité, ennemi du « lobby gay » et du féminisme, il coche toutes les cases à l’extrême-droite.

Celui qui veut un idéologue se décrit lui-même comme un « national-socialiste » à la française. En réalité, un mélange improbable « lépéno-marxisme », qui réunirait la vision nationale et raciale de Jean-Marie Le Pen et une lecture néo-marxiste des rapports sociaux. En 2020, il espère une « révolution fasciste » et vante le bilan de… Mussolini. Ce qui ne l’empêche pas d’admirer  Poutine, seul capable de repousser l’Empire mondialiste dirigé par les Américains et Israël. Il est d’ailleurs proche d’un des penseurs du régime russe, Alexandre Douguine, dont il a rédigé la préface des traductions françaises. Sa maison d’édition, Kontre Kulture, édite  La France juive, d’Edouard Drumont, Les Protocoles des Sages de SionMein Kampf d’Adolf Hitler, ou encore Le Livre vert de Mouammar Kadhafi, mais aussi les œuvres d’auteurs comme Joseph Goebbels, Robert Faurisson ou Maurice Bardèche.

Son organisation , Égalité et réconciliation (ER) est une structure hybride, à la fois média et mouvement politique. Fondé en juin 2007 par Alain Soral, Jildaz Mahé O’Chinal et Philippe Péninque, anciens responsables de l’organisation d’extrême droite du GUD, le média se dit « nationaliste de gauche » . Mais sa vision antisémite et conspirationniste le trahit .

 « Gauche du travail, Droite des valeurs : pour une réconciliation nationale » est un de ses slogans.

La réconciliation, au sens de Soral, vise à rassembler les jeunes immigrés et les Français de souche contre les juifs et les protestants, en clair le monde des banquiers anglo-saxons). Il appelle cela le « front de la foi », une union des chrétiens et des musulmans contre les juifs.

Entre autres thèses propagées sur le site, le complot des Illuminati et des francs-maçons, l’implication des élites et des puissants dans un réseau mondial de pédophilie, les chemtrails (thèses de conspirationnistes américains développant des théories sur le climat et l’extinction de l’espèce humaine) et les antivax. La théorie de l’implication du Mossad israélien, dans les attentats du 11 septembre 2001 y tient une large place. Actuellement, on y trouve un article selon lequel Brigitte Macron est un homme, ou un autre qui prétend qu’Israël manipule les résultats sportifs, etc.Un très mauvais film.

 Ce fatras intellectuel n’empêche pas ER d’être proche du FN depuis sa création. Marine Le Pen aimerait faire faire oublier qu’elle a distribué des tracts avec Alain Soral et ses équipes lors des municipales de 2008 à Hénin-Beaumont. La même année, Jean-Claude Martinez, alors vice-président du FN participait à la deuxième université d’été du groupe. Et David Rachline, le maire de Fréjus, est connu comme un admirateur patenté de Soral.

En novembre 2006 à la fête des Bleu-Blanc-Rouge, rencontre des sympathisants du Front national, les Jeunes avec Le Pen organisaient un karaoké. Sur une vidéo, on y voit Marine Le Pen inviter Soral au micro en le décrivant ainsi : « Il a beaucoup de talent de plume, il va aussi nous montrer qu’il a des talents de chanteur ! » Enfin, en 2016, l’ancien eurodéputé FN, Bruno Gollnisch, très proche de Jean-Marie Le Pen, participait à Reims à une « conférence privée » organisée par une section régionale du mouvement Egalité et Réconciliation.

Après les événements du 7 octobre 2023, ER a apporté son soutien, de façon étonnante, à la France Insoumise. Sur son site, on trouvait des formules dithyrambiques telles « la gauche LFI, sous le feu du combo Crif-Intérieur » ou encore « Face à cette honteuse soumission, c’est encore Mélenchon qui sauve l’honneur en matière diplomatique ». On a aussi pu lire un éloge de Mathilde Panot : « Israël/Palestine : Mathilde Panot sauve l’honneur de la France », « [Mathilde] Panot, c’est la France qui ouvre sa gueule, qui défend le faible contre le fort, qui ne se couche pas devant les puissances visibles ou occultes, bref, qui rend à nouveau fier d’être français. C’est une Gauloise. »

La nouvelle stratégie de la bande de Soral vise à faire de LFI un repoussoir complice des antisémites. Péripétie politicienne. Reste l’essentiel. Marine Le Pen s’évertue à débarrasser son parti des outrances du passé. Mais les relations confidentielles – et reniées –  n’ont pas perdu toute réalité en 2024. Et, il n’est pas du tout sûr que le RN, une fois arrivé, saurait rompre ses liaisons empoisonnées.

Yoann Taieb