À la solde de…

par Thierry Gandillot |  publié le 24/02/2024

Le livre de Vincent Jauvert révèle des noms, surprenants, de journalistes appréciés à la fois des lecteurs… et des services de renseignements à l’Est

D.R

Gérard Carreyrou ne se souvient plus très bien. A-t-il vraiment déjeuné 36 fois avec ce sympathique diplomate tchécoslovaque, Frantisek Krajicek, entre le 9 juin 1981 et le 8 novembre 1985 ? « Ce chiffre me semble exagéré », s’étonne-t-il. Ce 5 janvier 2024, l’ancien chef politique d’Europe 1 reçoit Vincent Jauvert, du service étranger de l’Obs. Le journaliste a des biscuits. Dans une clé USB, il a des milliers de documents « déclassifiés » par la Tchécoslovaquie : les archives de son service d’espionnage, le StB, des années 1960 à la fin des années 1980.

Selon les services tchèques, le jovial Carreyrou, était enregistré comme collaborateur de confiance n° 48226. Nom de code «  Fantl ». Le vrai nom de son contact n’est pas Krajicek, mais Litecký. Carreyrou ne touchera jamais un centime pour les informations, juste du cristal de Bohème dont « il raffole ». Cet ancien du PSU, qui côtoie le gratin du monde politique, bien introduit au PS et en particulier auprès de son ami Pierre Bérégovoy et de François Mitterrand, a des tuyaux de première main.

« abracadabrantesques »

En 1981, il aurait transmis 17 informations de valeur notées 86,4 %, en 1982, 17 et 34 en 1983. Les services tchèques auront ainsi appris avant les Français le cancer de leur Président.Ces histoires de recrutement sont « abracadabrantesques » « du pur baratin ». « Je démends formellement avoir collaboré clandestinement avec la StB, je n’ai jamais reçu de vase en cristal, seulement une bouteille de slivovitz et j’ignorais que mon interlocuteur tchécoslovaque était un officier de renseignement. » Oui, mais quand même, Gérard, 36 déjeuners en quatre ans ?

Les journalistes semblent des cibles assez prisées du StB (quand, vérification faite auprès du grand frère soviétique, ils n’émargent pas déjà au KGB !) Récemment, nos confrères de « L’Express » ont révélé que Philippe Grumbach, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire fondé par JJSS, travaillait pour l’Est. Il y a un an , l’OBS avait déjà révélé qu’une taupe œuvrait au plus haut niveau du « Canard Enchaîné ». Cette fois, il pioche dans les colonnes du « Nouvel Observateur » ( le brillant Albert-Paul Lentin) ou du « Figaro » ( le très respectable Paul-Marie de la Gorce). On trouve aussi un conseiller du préfet de police de Paris, et son épouse, un membre haut placé du PS venu du PSU, « grognard de Mitterrand » (Claude Estier), un ancien directeur adjoint de la Société Générale…

La chèvre

Et puis il y a ceux qui ne se sont pas laissés hameçonner. Patrick Ollier est de ceux-là. Nous sommes au milieu des années 1980. L’élu gaulliste de Rueil-Malmaison rencontre des diplomates de tous bords. Parmi eux, il y avait un Tchèque « très sympathique, un peu trop même. » Ils font ami-ami, jusqu’au moment où Ollier est invité à chasser en Tchécoslovaquie. Là, il se dit que la mariée est trop belle et file tout raconter à la DST pour laquelle il « va jouer la chèvre ». L’espion est démasqué et renvoyé chez lui. Pour toute récompense, Patrick Ollier recevra une médaille en… 2003. Elle trône sur une étagère de son bureau de la mairie de Rueil.

À la solde de Moscou, Vincent Jauvert, mars 2024, Le Seuil, 168 pages

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture