À la table de Macron
On comprend bien qu’en conviant les partis d’opposition, le président cherche avant tout à amuser le tapis faute de majorité. Mais s’il en sort une réforme utile ou deux, pourquoi les refuser ?
À celui qui dîne avec le diable, dit-on, il faut une longue cuillère. Pour la NUPES qui dîne avec Macron, il faut un petit plateau-repas… Les représentants de la gauche, en effet, venus à Saint-Denis à l’invitation du président de la République, veulent bien discuter, mais ils n’ont voulu manger que dans une ambiance de travail. D’où le plateau-repas qu’ils accepteront et non un dîner en bonne et due forme. Un peu ridicules, à vrai dire, ces afféteries… Les partis se fréquentent à l’Assemblée ou au Sénat dans une atmosphère souvent courtoise ; personne n’aurait pensé à mal s’ils avaient fini la journée de Saint-Denis par un dîner, non en se tapant sur le ventre en chantant des chansons, mais en poursuivant un débat par définition contradictoire.
Baroque également le choix du lieu, doublement monarchique. La basilique de Saint-Denis est un haut lieu capétien, qui abrite les magnifiques gisants et statues des anciens rois. L’école de la Légion d’Honneur, qui accueille les convives, a été fondée par Napoléon 1er . On a vu symboles plus républicains. À moins qu’on veuille évoquer, par la bande, cette verticalité chère au pouvoir macronien…
Au-delà de ces détails protocolaires, le fond de l’affaire pose une question intéressante : face à un président sans majorité, l’opposition peut-elle négocier certaines mesures ? Elle se méfie, bien sûr. Inventif dans la forme, le président a pris le pli de conclure les crises qu’il affronte – ou qu’il suscite – par des palabres enrobées de modernité : le « grand débat » consécutif au mouvement des « gilets jaunes » ou bien les « conventions citoyennes » organisées par tirage au sort. L’ennui, c’est qu’il n’en sort pas grand-chose. Les « cahiers de doléances » rédigés il y a quatre ans sont restées lettre morte et c’est une association plutôt critique – « Rendez-nous les doléances » – qui a dû s’en emparer pour en tirer une synthèse. La convention sur le climat a vu ses propositions jivarisées pour cadrer avec la – trop – prudente politique du gouvernement en la matière. L’opposition se méfie donc légitimement de ces forums sans décision, principalement destinés à redorer le blason macronien en noyant les problèmes sous un flot rhétorique.
Mais si par miracle le président décidait cette fois de quelque réforme bienfaisante aux plus défavorisés ou bien destinée à faire progresser la société dans le bon sens, pourquoi faire la fine bouche ou s’en gendarmer ? L’opposition pourrait alors s’en prévaloir en soulignant que c’est grâce à la pression par elle exercée que le pouvoir a consenti à avancer. C’est la ligne des réformistes : plutôt qu’un programme à l’ambitieuse perfection qui reste dans les tiroirs faute de pouvoir gouverner, mieux vaut des mesures certes partielles, mais qu’on applique.