A69: autoroute vers l’avenir ou impasse ?

publié le 22/04/2023

Les manifestations contre la construction de l’A69, fortes de la légitimité verte, illustrent l’un des contradictions majeures du projet écologiste.

Entre Castres et Toulouse- Photo Charly TRIBALLEAU / AFP

Un nouveau Sainte-Soline ? Chacun craint que la manifestation contre la construction de l’autoroute Castres-Toulouse ne tourne encore une fois à l’affrontement violent. Un espoir : le préfet, le ministre de l’Intérieur, mais aussi les organisateurs – qui prévoient un rassemblement « festif et familial » – promettent qu’il n’en sera rien. Acceptons-en l’augure et profitons-en pour réfléchir un instant, plutôt qu’aux questions de maintien de l’ordre, à la signification de ce conflit entre écologistes et élus.

Car le cas de cette A-69 de la discorde illustre parfaitement l’une des questions centrales de la mutation écologique nécessaire : doit-on ou non adopter une stratégie de décroissance ?

Poussé en avant depuis trente ans, le projet a pour but de relier plus rapidement Toulouse, à la bonne ville de Castres, la seule des agglomérations environnantes à ne pas avoir d’autoroute à sa disposition pour communiquer avec la capitale régionale. À partir de là, entre partisans et opposants, les arguments se répondent comme dans une pièce de théâtre.

– La nouvelle voie permettra de gagner plus de vingt minutes sur un trajet aujourd’hui supérieur à une heure. Castres sera désenclavée.

– Mais que sont vingt minutes de gagnées face à l’impératif écologique ?

– Ces vingt minutes manquantes dissuadent les entreprises de venir ou de rester à Castres, ce qui nuit à l’emploi et à la prospérité de la ville.

-Oui, mais on infligera à la nature des dommages inadmissibles.

-Ces dommages sont limités : 400 hectares de sols bitumés, c’est peu de choses en fait par rapport à la superficie de la région.

-Oui, mais chaque hectare gagné en terres agricoles est précieux pour la préservation du milieu naturel et la lutte pour la biodiversité. D’ailleurs, il y a une solution alternative : l’aménagement de la route nationale existante, qui a aussi le mérite de coûter deux fois moins cher.

-Fausse solution : pour aménager cette nationale, il faudra couper beaucoup plus d’arbres qu’en construisant l’autoroute. Et Castres restera enclavée.

-Cet « enclavement » découle de critères dépassés : la manie de la vitesse quand il faut ralentir dans tous les domaines, l’obsession productiviste, l’indifférence face au sort des villages qui seront coupés en deux par l’autoroute, quand il faut imaginer un autre modèle économique, sobre et respectueux du milieu naturel.

-Peut-être, mais c’est la volonté populaire. Quelque 80% des habitants concernés sont favorables au projet ainsi que la plupart des élus locaux ou régionaux. De plus, le projet a franchi tous les obstacles de la procédure d’agrément. Il est conforme à la volonté générale et parfaitement légal.

Alors ?

Alors, le sort de la planète dépasse largement l’opinion transitoire de telle ou telle partie de la population. Pensons à l’enjeu mondial de l’artificialisation des sols et au sort des générations futures, qui pâtiront gravement de cette préférence pour la croissance.

Qui peut dire, en lisant ce double argumentaire, que les uns ont parfaitement tort et les autres, totalement raison ? Préservation des arbres, des champs, des villages d’un côté, avec un mode de vie plus frugal et moins frénétique ; souci de l’emploi, de la réindustrialisation et du pouvoir d’achat de l’autre. Moindre croissance d’un côté, progrès du niveau de vie de l’autre. L’avenir plaide pour les premiers, la démocratie locale et l’emploi pour les seconds.

À ce stade, on se gardera de trancher. Mais c’est, en miniature, la contradiction majeure qui vient perturber notre conception du futur de l’humanité : faut-il réduire le niveau de vie pour sauver la planète ? C’est elle qu’il faudra lever pour trouver une voie démocratique et juste vers la mutation écologique.

Qui peut dire, en lisant ce double argumentaire, que les uns ont parfaitement tort et les
autres, totalement raison ? Préservation des arbres, des champs, des villages d’un côté, avec
un mode de vie plus frugal et moins frénétique ; souci de l’emploi, de la réindustrialisation et
du pouvoir d’achat de l’autre.

Moindre croissance d’un côté, progrès du niveau de vie de
l’autre. L’avenir plaide pour les premiers, la démocratie locale et l’emploi pour les seconds.
À long terme, les écologistes ont raison : ces aménagements dispendieux en faveur de
l’automobile appartiennent au monde du passé. Mais à court terme, le développement
d’une ville comme Castres, dans un sud-ouest qui s’est senti longtemps tenu à l’écart,
l’emporte dans l’esprit des populations concernées.

C’est, en miniature, la contradiction majeure qui vient perturber notre conception du futur de l’humanité : faut-il réduire le niveau de vie pour sauver la planète, quel est le coût social de la sobriété ?

C’est elle qu’il faudra lever pour trouver une voie démocratique et juste vers la mutation écologique.