Abdulhamid II, le sinistre modèle d’Erdogan

par Pierre Feydel |  publié le 05/04/2024

Après sa geave défaite aux élections sont un grave revers, le « Reïs » turc sait-il que le sultan qu’il admire tant a détruit l’Empire ottoman ?

D.R

Recep Erdogan aime bien les feuilletons télé comme outil de sa propagande . Il en a initié, sinon commandé, plusieurs. L’un intitulé « Payitah Abdülhamid » diffusé au début années 2020, est tout à la gloire du sultan Abdülhamid II, un dictateur sanglant un tantinet paranoïaque qui s’évertue à déjouer les nombreux complots qui le menace. Une sorte de « Games of Thrones » enturbanné passablement antisémite, profondément anti-chrétien, le tout noyé dans une sauce passablement anti-démocratique. Du pur Erdogan.

Mais le « Reïs » sait-il que son modèle a mal fini ? Ce prince accède au trône en 1876. Il a 22 ans. C’est le trente-quatrième souverain de la dynastie des Osman. Son règne s’ouvre par une défaite face à la Russie. Le congrès de Berlin qui clôt le conflit va amputer l’empire de 200 000 km2 et 5 millions de sujets des Slaves et des chrétiens. Le prestige du sultan est entamé.

En 1878, des comploteurs tentent de libérer son frère Mourad en résidence surveillée depuis 2 ans. Une fusillade éclate. Abdülhamid a la peur de sa vie. Finie la libéralisation. Le grand Vizir est destitué, la constitution abolie, le parlement renvoyé. Le sultan est désormais le seul maitre, qui gouverne de son palais de Yildiz à l’écart d’Istamboul. Une véritable ville construite à partir de 1880, dans un parc de 5 km2 protégé de hauts murs, et gardé par 15 000 hommes. 12 000 fonctionnaires et officiers y travaillent. Le sultan y mène une vie bourgeoise. On lui connait sept épouses, six favorites, sept filles et huit fils. Il contrôle tout.

La population est truffée d’espions. La censure bâillonne la presse. Il n’oublie pas son rôle de calife, successeur du prophète. Il protège les lieux saints de l’Islam, favorise ses sujets arabes. Son « panislamisme » inquiète les Européens. Sauf les Allemands dont il se fait des alliés qui instruisent son armée construisent les chemins de fer… la modernité a apparemment renforcé l’absolutisme.

Mai la révolte gronde. Les 25 millions de sujets du sultan composent une mosaïque de nationalités. Depuis 1890, les Arméniens s’agitent. La répression a été terrible 220 000 morts, 100 000 islamisés de force, 100 000 femmes enlevées et vouées au harem. L’opinion se déchaîne en Europe occidentale. « Le sultan rouge », « le grand saigneur » est accusé des pires massacres. Même si ce sont les autorités locales musulmanes qui les ont déclenchés  . L’image internationale du souverain est abimée. Mais ce sont les « Jeunes Turcs », qui le feront tomber. Cette société secrète rassemble bon nombre de jeunes officiers.

En 1908, son comité Union et Progrès s’agite. Les troupes refusent de marcher contre les rebelles. Abdülhamid rétablit la Constitution et annonce des élections. Le Comité les gagne. Les « Jeunes Turcs » déposent Abdülhamid en 1909. Le nouveau pouvoir se déshonorera par les massacres des Arméniens en 1915 et 1916 (autour d’un million de victimes). Allié des Allemands, l’Empire turc, vaincu, est démembré dès octobre1918. Abdülhamid est mort en février. Les « Jeunes Turcs » s’enfuient. Atatürk arrive.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire