Abnousse Shalmani, vent debout contre « les barbus et les corbeaux »

par Emmanuel Tugny |  publié le 03/05/2024

En guerre contre l’extrémisme religieux, elle s’affirme féministe, libertaire, laïque et libertine. Et ça décoiffe…

Abnousse Shalmani. ©JF Paga / SDP

Qu’elle irrite ou séduise, Abnousse Shalmani, écrivain et cinéaste, crève l’écran. Née à Téhéran en 1977, elle gagne la France en 1985 aux bras de parents socialistes. Dans son premier livre,  Khomeyni, Sade et moi , retraçant cet âge tendre qui la voit narguer « barbus et corbeaux » en allant nue pour ne pas être « une enfant transformée en femme par la loi », elle développe une critique farouche de la sécularisation de l’Islam, critique dont elle est aujourd’hui le héraut médiatique le plus radical et le plus glamour.

Un peu comme chez Godard, devant un rouge, sèche au bec, l’œil de basalte ombré de boucles blondes,  drapée dans sa garde-robe dandy, la jeune femme livre, de film en essai, d’essai en roman, de roman en chronique, sur plateau ou dans la presse, un vibrant éloge du « métèque », ou plus exactement de la « métèquité », de la condition de celui qui, pour « vivre ailleurs que chez lui », peut observer de façon dégagée ce qu’est au juste cet ailleurs.

Chacune des interventions qu’elle consacre à la géopolitique témoigne d’une conviction ancrée : le corps collectif ne saurait prendre la parole au nom de ce sujet universel en quête éternelle de soi. Aux yeux de Shalmani, le mot « laïcité », « qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait jusqu’à il n’y a pas si longtemps, qu’il nous protégeait, nous consolait, nous rassurait », ce mot désigne cela même que voulurent ses apôtres raisonnables, Briand en tête : la cohabitation au cœur de la Cité d’un laisser-vivre et d’un laisser-croire. Est-elle libérale ? Elle semble parfois l’être, au nom de la liberté et même du devoir d’initiative, mais son libéralisme sait flétrir les excès de l’entreprise.

Elle est féministe, libertaire, laïque et libertine. On lira à ce sujet avec délice J’ai péché, péché dans le plaisir, la fiction qu’elle consacre à la sulfureuse Marie de Régnier et au « scandale de sa vie libre » vue par la poétesse iranienne Forough Farrokhzad qui s’en fait un exemple.

Elle peut parfois attiger : « la majorité des filles d’obédience musulmane maghrébine sont obligées de se retenir d’avoir de bons résultats à l’école, car si elles réussissent, les parents vont leur dire “Tu te prends pour une blanche ou quoi ! »  Mais son féminisme demeure relativiste, son libertarisme tempéré, sa laïcité respectueuse, son libertinage partageux.

Que nous dit donc Abnousse Shalmani ?  Elle nous dit que la République française, dont elle est l’enfant de culture sinon de sang, se fourvoie à l’instant où, oublieuse ou honteuse de son archéologie propre, elle répond aux sirènes de l’occultation de l’identité par l’appartenance, du libre-arbitre par le réflexe grégaire.

Si elle surprend tant, en somme, c’est peut-être parce qu’elle rappelle quelques évidences françaises refoulées, c’est peut-être parce qu’observant, elle décille.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie