« Adolescence » : de la fiction au débat
Voilà quatre plans séquences de 52 minutes. Et dès la première image, le spectateur est saisi. La mini-série Adolescence est un phénomène d’utilité publique.

La police britannique fait irruption brutalement dans une banale maison de banlieue anglaise, avec déploiement de forces impressionnantes et arrête, à la stupéfaction de ses parents et de sa sœur, un jeune garçon de 13 ans, Jamie, soupçonné, puis inculpé du meurtre, pendant la nuit, d’une jeune fille de son collège.
Le premier épisode se passe dans le commissariat – l’inculpation -, le deuxième au collège, -l’enquête -, le troisième avec une psychologue, époustouflant, – en prison -, un an après. Quant au quatrième, l’anniversaire du père, on ne vous en dira rien, tant il est inattendu.
On commence à regarder, pour voir, on ne lâche plus jusqu’à la fin.
Le plus surprenant, à première vue, dans cette série effectivement remarquable, est le décalage et l’incompréhension des générations. Les parents ne savent rien de ce que pense et fait leur fils. Plongé dans son ordinateur et les réseaux sociaux par lesquels passe l’essentiel de ses relations amicales et amoureuses, Jamie partage son langage, ses codes, ses fantasmes et son univers en dehors de la réalité familiale et scolaire. On a beaucoup parlé à ce propos du masculinisme, mis en avant dans ce drame qui aboutit à la mort, par coups de couteau, de cette jeune fille : le virtuel devient alors bien réel. C’est un fait de société en Angleterre, ces meurtres de jeunes filles au couteau.
Ce qui est en cause, outre les réseaux sociaux, c’est le système éducatif anglais, l’incapacité des professeurs et de l’encadrement eux-mêmes happés par l’utilisation permanente des images, soumis à la violence. La série a suscité un énorme intérêt au Royaume-Uni, un record d’audience – premier programme de streaming à atteindre plus de 6 millions de spectateurs – et un débat au Parlement initié par le Premier Ministre, Keir Starmer, qui a regardé la série avec ses fils adolescents, prescrit le visionnage dans les collèges et lycées, et a demandé une enquête et promis de se saisir de la question des thèses masculinistes et de la sécurité numérique. Il a invité les scénaristes et plusieurs associations à Downing Street pour réfléchir à la sécurité des ados, les dérives des réseaux sociaux et le fameux « tourbillon de la haine ».
Outre sa qualité et la maitrise du sujet, cette série pose de multiples questions de fond et en premier, leur rôle dans le débat public. Aucun rapport parlementaire, aucune commission d’enquête ou autre inspection n’auraient pu avoir un tel impact et susciter de telles réflexions collectives. Autrefois, c’étaient Les Misérables ou Germinal, parfois diffusés sous forme de feuilletons, ou des faits divers par les journaux lus par un petit nombre de gens. Plus durables, pour les livres, ils touchaient cependant moins de monde en même temps.
L’emprise de la série, des réseaux sociaux, de l’immédiateté, crée un univers propre à chaque génération, isolant les groupes les uns des autres et rendant la communication très difficile, voire impossible. Des communautés d’adolescents se créent dans un univers parallèle à l’école, la famille, univers obéissant à des règles différentes, des codes d’honneur, des relations violentes, impitoyables.
Est-ce la première fois ? Non, sans doute, chaque génération crée son propre langage et se coupe de la précédente. Et le cinéma – les blousons noirs – a déjà joué le rôle que jouent aujourd’hui les séries, créé ses idoles – James Dean -, en rupture avec le passé. Mais le contexte économique, social et politique d’aujourd’hui, l’omniprésence des smartphones, de la diffusion instantanée des images et des textes rendent tout contrôle et l’établissement de toute règle impossible, laissant les adolescents aux prises avec la découverte de la violence, de la sexualité, sans support parental, scolaire ou social qui les aide à grandir et à maitriser leurs pulsions.
Un grand débat donc, jeté avec force et qui ne fait que commencer.
Adolescence, mini-série britannique, crée par Jack Thorne et Stephen Graham, diffusée en France par Netflix depuis le 13 mars.