Adrien Broche : «Une victoire du RN paraît difficile… mais il ne faut rien exclure»

D.R

LeJournal.info :  Quelles sont les principales leçons du scrutin européen ?
Adrien Broche : La première leçon est évidemment la percée historique du Rassemblement national qui, en quinze ans, a plus que quintuplé son score (6,34 % en 2009). La liste de Jordan Bardella réalise plus de deux fois le score de celle de la majorité présidentielle. Compte tenu du contexte et de la très difficile campagne qu’elle a eu à mener, Valérie Hayer limite la casse en s’assurant la seconde place du scrutin devant Raphaël Glucksmann. Les courbes Hayer et Glucksmann ne se seront finalement jamais croisées. À gauche, les positions se sont inversées par rapport à 2019 : le PS/PS a pris la place qu’occupaient les Verts, et les Verts celle du PS. Au total, le bloc PS-EELV pèse néanmoins sensiblement la même chose, autour de 20 %.

Les rapports de force constatés dans ce scrutin valent-ils pour des législatives, ou bien est-ce très différent ?  
Ils doivent être lus à titre indicatif simplement. Le mode de scrutin et le rapport qu’ont les électeurs à ces deux élections, l’une lointaine et l’autre plus territorialement installée, est radicalement différent. L’hypothèse d’une union des gauches, quelle que soit sa forme, complique également l’aplatissement des deux rapports de force.

Trois scénarios sont ici possibles. D’abord, celui où la situation reste celle d’aujourd’hui, sans majorité absolue, avec éventuellement un changement de force politique, même relativement majoritaire. Ensuite, celui où une majorité absolue Renaissance se dégage. Le « coup politique » d’Emmanuel Macron à court-terme sera réussi, mais cela ne changera rien au caractère artificiel de cette majorité à nouveau bricolée sur des logiques d’appareil et de barrage qui pourrait que retarder l’accession du RN. Enfin, l’obtention par le RN d’une majorité absolue entrainant une cohabitation. Certains y verront la dernière marche avant son accession à l’Élysée, d’autres une opportunité de démontrer son incompétence. Mais rien ne garantit ce dernier point et le RN pourrait aussi s’appuyer sur le fait d’avoir les mains liées et axer sa campagne de 2027 sur cet élément.

Compte tenu du nouveau rapport de forces, quelle est la probabilité d’une victoire du RN ? 
En l’état actuel des choses, s’il ne faut rien exclure, elle paraît difficile. Le défi pour le RN de faire élire 289 députés en trois semaines est immense, d’autant qu’il fera face à des formations installées dans les territoires. Il est en revanche probable que la formation de Jordan Bardella obtienne une majorité de sièges non absolue. Une situation qui le contraindra à compter sur une alliance avec les députés LR, si tant est qu’ils soient en nombre suffisant pour obtenir une majorité absolue.

Renaissance peut-elle regagner une majorité ? 
Emmanuel Macron, devant la menace d’une motion de censure sur le budget et prenant acte de la lassitude et du blocage démocratiques à l’œuvre depuis 2022, a fait le pari de prendre tout le monde de court en imposant une temporalité de campagne resserrée : la gauche, dont l’ampleur des divisions mine la capacité d’union immédiate, et LR, qui n’a pas le temps de s’organiser et qui sera sommée, pour continuer d’exister, de choisir entre le macronisme et l’extrême-droite. L’idée est ici de miser sur l’incapacité de la gauche à s’unir pour toutes les raisons que l’on connaît, provoquant un maximum de duels RN/Renaissance, et de compter sur le surmoi républicain des Français. L’union de la gauche met à mal le plan de jeu d’Emmanuel Macron. À défaut de se reposer sur un éclatement des gauches au premier tour, l’argument restant pour Renaissance est le suivant : PS = LFI = soutien au Hamas. La difficulté est de ne pas avoir à recourir à l’argument du vote « raisonnable » contre le « chaos », qui risque de mobiliser encore davantage de vote extrême. Il ne reste donc plus beaucoup de cartes à jouer.

La difficulté pour Renaissance sera d’accéder à un maximum de seconds tours dans un contexte de fort attractivité RN, d’union de la gauche, et où Emmanuel Macron fait figure de repoussoir. Ces trois éléments laissent d’ores et déjà penser que Renaissance sera loin d’assurer une qualification dans les 421 circonscriptions dans lesquelles elle a joué un second tour en 2022. Même une hausse de la participation par rapport aux échéances récentes ne suffirait pas à combler ce déficit.

La gauche unie peut-elle l’emporter ?
En réalité, le curseur porte sur le poids des électeurs de gauche hostiles aux dérives réactionnaires montrées par LFI ces derniers mois et sur le degré et la nature de leur aversion pour une union qui n’écarterait pas la tutelle de Jean-Luc Mélenchon. En bref : la crainte de voir le Rassemblement national accéder aux responsabilités est-elle supérieure à leur aversion à Jean-Luc Mélenchon ? La question, au moins au niveau théorique, se pose lorsque l’on constate l’étendue du caractère repoussoir de la France insoumise dans l’opinion. D’autant que la stratégie de la radicalité adoptée par LFI en 2022, tout en consistant à rassembler notamment au sein de quartiers populaires abstentionnistes pour se qualifier au second tour, annule en même temps ces chances de victoire finale. Si la constitution du « nouveau front populaire » avec la France insoumise peut à juste titre effrayer certains électeurs de gauche, il faut se garder de surestimer leur capacité à ne pas rallier l’union dans un contexte d’aussi forte menace RN. 

Adrien Broche est Responsables des études politiques et publiées de l’institut Viavoice

Propos recueillis par Laurent Joffrin