Affaire Traoré : le bon combat ?

par Laurent Joffrin |  publié le 03/09/2023

Les gendarmes impliqués dans l’arrestation d’Adama Traoré ont obtenu un non-lieu. La famille du jeune homme crie au déni de justice. Est-ce si sûr ?

Laurent Joffrin

Les deux juges d’instruction chargés d’enquêter sur l’affaire Adama Traoré ont donc rendu une ordonnance de non-lieu. Pour eux, les gendarmes qui ont procédé à l’arrestation du jeune homme en juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, à l’issue de laquelle il a trouvé la mort, n’ont pas commis de violence illégitime et ne se sont pas rendus coupables de non-assistance à personne en danger.

La sœur du jeune homme, qui mène campagne depuis sept ans pour obtenir la mise en accusation des gendarmes, a annoncé qu’elle contestait ce non-lieu « qui est une honte pour la justice française » et appelé à une nouvelle mobilisation mardi à Paris. C’est là qu’on ne peut s’empêcher d’éprouver, devant cet acharnement à faire condamner les gendarmes, un certain malaise.

Adama Traoré a été arrêté dans un appartement où il s’était réfugié au terme d’une course poursuite dans la chaleur de juillet, après avoir échappé deux fois à un contrôle d’identité (qui visait en fait son frère). Les trois gendarmes qui l’ont menotté ont exercé sur lui, pour le maîtriser, un « plaquage ventral » dont la famille Traoré estime qu’il est la cause de sa mort. Il s’en est suivi une longue bataille juridique, émaillée d’incidents de procédure et d’expertises contradictoires, qui vient donc de se terminer par un non-lieu.

Pourquoi Adama Traoré est-il mort ? Les défenseurs des gendarmes incriminent la santé fragile du jeune homme et le « coup de chaleur » provoqué par la course-poursuite. La famille Traoré nie la pertinence de cette explication et impute la défaillance cardiaque du jeune homme à la brutalité de l’arrestation. Le cas Traoré est ainsi devenu le symbole militant de la lutte contre « les violences policières », à l’image de la mort de George Floyd survenue entre-temps aux États-Unis.

L’ennui dans cette comparaison, c’est qu’il ne fait aucun doute que George Floyd est bien mort à la suite de brutalités policières, tandis que l’affaire Traoré reste dominée par le doute. Le corps d’inspection de la gendarmerie, deux procureurs successifs, et deux juges d’instruction ont ainsi estimé que les gendarmes n’avaient pas commis de faute et que le caractère mouvementé de l’interpellation était dû à la fuite répétée de ce jeune homme de 24 ans.

On peut bien sûr imaginer que les gendarmes du corps d’inspection et les procureurs ont voulu « couvrir » les forces de l’ordre. Cela s’est vu. Mais serait-ce le cas des deux magistrats instructeurs qui ont fini par prononcer le non-lieu au terme d’une longue enquête ? Tous ces gens se sont-ils vraiment donné le mot pour mentir effrontément ?

Au vrai, pour qui examine le dossier dans son détail, il est impossible de conclure avec certitude à la culpabilité des gendarmes, même si leurs déclarations ont varié dans le temps. En tout état de cause, le doute demeure. Du coup, il est fort possible, si les deux juges d’instruction ont raison, que la campagne agressive menée par la famille Traoré et par les groupes politiques qui la soutiennent consiste en fait à s’attaquer à des innocents, dont la rectitude professionnelle est sans cesse dénigrée sur la place publique sans qu’on en apporte la preuve.

On a ainsi la désagréable impression d’assister à une campagne politique où la recherche de la vérité est somme toute secondaire. Tout se passe comme si on avait à l’avance délimité deux camps antagoniques, l’État et les gendarmes d’un côté, forcément coupables, et la famille Traoré de l’autre, victime emblématique de pratiques policières condamnables, démarcation qu’aucun élément factuel ou judiciaire ne peut entamer.

On sait que les fautes policières se produisent trop souvent, que les policiers mis en cause ont une fâcheuse tendance à maquiller la réalité, que les minorités regroupées dans les quartiers dits « sensibles » sont victimes de discriminations indiscutables. Mais pour symboliser cet état de fait, pour rallier l’opinion à la lutte pour une meilleure justice, une meilleure égalité, il n’est pas certain que le cas de la famille Traoré soit le mieux choisi.

Laurent Joffrin