Afrique de l’Ouest :la dérive d’un continent

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 31/05/2024

Soixante ans après les indépendances, l’Afrique de l’Ouest s’éloigne de la France …

Mauvais mois de mai pour la France en Afrique de l’Ouest. À quelques mois du Sommet de la Francophonie prévu à Villers-Cotterêts, dans la Cité internationale de la Langue Française récemment inaugurée par le président Macron, la France voit se détourner d’elle bien des pays qu’elle a si longtemps assujettis.

Qu’il est loin ce mois de novembre 2017 où Macron voulait changer profondément la relation entre la France et l’Afrique, et l’affirmait haut et fort dans un amphithéâtre d’Ouagadougou… Sept ans plus tard, la France n’a en rien modifié sa politique africaine. Pire, elle en a fait apparaitre toutes les incohérences. D’où une France rejetée par de plus en plus de pays qui préfère se jeter dans les bras de juntes militaires prêtes à nouer des liens avec d’autres puissants prédateurs. Une sorte de double échec de l’indépendance et de la décolonisation.

Les pays concernés s’embarquent vers des destins douteux tandis que la France a raté une magnifique occasion de montrer ce que pouvait être une coopération intelligente, équitable et respectueuse, en même temps qu’une Francophonie porteuse des valeurs qu’elle professe, oubliant enfin les errements de l’Empire. Illustrations rapides au Tchad, au Mali et au Burkina-Faso.

Tchad : les militaires au pouvoir pour longtemps

Dès le 6 mai, tout était prêt pour assurer la victoire de Mahamat Idriss Déby Itno, chef de la junte et fils de son père. Il l’a emporté dès le premier tour avec plus de 61 % des voix, son principal opposant, Succès Masra dépassant à peine les 18 %. Le fils Déby se considère donc désormais comme légitime, « président élu de tous les Tchadiens », en une confirmation que le retour à l’administration civile du pays n’est pas pour demain et que les militaires au pouvoir ont bien l’intention de le conserver. Et ce, alors même qu’ils se glorifient par ailleurs de ne pas être, comme leurs voisins du Sahel, aux prises avec les troupes djihadistes qu’ils auraient su éliminer. La voie est donc pour la junte-, d’autant que tous ses opposants politiques ont par ailleurs été éliminés sous différentes formes.

Mali : la junte s’installe dans la durée

Ici aussi, on vient d’avoir confirmation que les militaires n’avaient pas l’intention de quitter le pouvoir, au terme du « dialogue inter-malien » organisé par la junte. La conclusion de ce  « dialogue » est en effet que « deux à cinq années supplémentaires » de régime militaire sont indispensables pour sortir le pays de sa crise sécuritaire et politique. Ses recommandations préconisent en outre que le chef de la junte, Assimi Goïta, soit candidat à l’élection présidentielle qui suivra la période de transition. Cerise sur le gâteau, la proposition est faite de le nommer général, ainsi que ses principaux collaborateurs. Quant aux partis politiques, dès avril, ils avaient tous été suspendus du fait de leurs critiques contre la junte et de leur refus du « dialogue » national préconisé. Ce dernier dialogue a proposé de réduire leur nombre et de leur refuser tout financement public.

Burkina-Faso : une « transition » de cinq au moins

Le scénario est quasiment le même qu’au Mali. Samedi 25 mai, des assises nationales, boycottées par tous les partis politiques et rassemblant donc les seuls inféodés à la junte du capitaine Ibrahim Traoré, se sont tenues à Ouagadougou. Docilement, elles ont conclu que la transition devait encore durer au moins cinq ans de plus et que l’Assemblée nationale correspondante ne pouvait plus faire la part belle aux partis comme précédemment. Elle a donc supprimé tous les « quotas » précédents, pour ne laisser la place qu’au seul critère du « patriotisme » pour pouvoir y siéger. La junte a donc d’autant plus les mains libres pour cinq ans que, comme au Mali, les assises ont donné leur feu vert à Traoré pour qu’il puisse se présenter à d’éventuelles futures élections présidentielles.

Le bloc sahélien se construit

Quelques jours plus tôt, le 17 mai, les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina-Faso et du Niger s’étaient réunis à Niamey pour finaliser « l’institutionnalisation et l’opérationnalisation » de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES) et confirmer leur abandon de la Cédéao, jugée trop instrumentalisée par la France. Le contenu de cet accord n’est pas encore connu, mais on peut deviner qu’il fera référence à de nouvelles alliances, notamment au rapprochement déjà très sensible avec Moscou et ses alliés.

Un camouflet supplémentaire pour la Cédéao, qui avait voulu leur imposer des sanctions, avec l’assentiment de l’Union Africaine et de l’Occident. Un Occident qui, au demeurant, ni au Tchad, ni au Mali, ni au Burkina-Faso, n’a véritablement réagi à ces situations, la France et les États-Unis étant sans doute surtout préoccupées par le fragile maintien de leurs bases militaires au Tchad.

Une question se pose, désormais concernant le Sénégal, au discours désormais très dur contre la France et aux orientations idéologiques clairement anti-impérialistes, ou le Tchad, où l’influence russe se fait déjà jour. Vont-ils être tentés de rejoindre ce nouveau bloc sahélien et de se mettre ainsi davantage sous la coupe des nouveaux prédateurs russes, chinois ou alliés et de leurs régimes autocratiques ?

Jean-Paul de Gaudemar

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