Afrique-Occident : la Russie creuse la fracture

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 21/06/2024

 Moscou fait pression pour dissuader certains pays africains de participer à toute conférence  sur l’Ukraine. Et ça marche…

 

Une femme dans une rue de Ouagadougou (Burkina Faso). OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Lors de la conférence pour la paix en Ukraine qui vient de se tenir au Bürgenstock, en Suisse, aucun des États africains récemment visités par Serguei Lavroff , le ministre des Affaires étrangères russe, ne s’est déplacé, comme d’ailleurs les trois-quarts des pays du continent. Seul six chefs d’État avaient fait le déplacement, les plus proches des positions occidentales, dont Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire. De même, aucun des membres des BRICS, désormais élargis à onze, n’était présent.

Nouveau signe s’il en est d’une fracture qui ne cesse de s’élargir entre l’Occident et cet amalgame de pays dits du « Sud global », mais dont les BRICS constituent l’épine dorsale politique.  L’Afrique n’a d’ailleurs pas cessé, depuis le début du conflit en Ukraine, de donner des signaux montrant que la plupart de ses pays ne souhaitaient pas suivre la condamnation portée par l’Occident de cette guerre, qu’il s’agisse de leurs votes aux Nations Unies ou d’autres réticences.

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C’est une des raisons majeures des tentatives de la diplomatie ukrainienne, son président en tête, pour séduire le continent, notamment dès que les cargaisons de céréales ont pu quitter le port d’Odessa et être acheminées vers les ports africains. L’ouverture d’ambassades au Ghana, puis en Côte d’Ivoire (inaugurée avec faste par Ouattara), participe de cette même orientation stratégique et a conduit les deux présidents de ces pays à faire partie des rares s’étant rendus au Bürgenstock. Mais pour l’instant, ces efforts diplomatiques semblent avoir donné peu de résultats.

Au cœur du dispositif russe ayant contribué à les contrer, l’ex-groupe Wagner, renommé Africa Corps, plus directement lié aux services de renseignements russes (GRU) et donc à Poutine. Ses hommes sont désormais bien en place au sein de cette charnière centrale en Afrique subsaharienne que constituent les trois pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) et la Centrafrique. S’y adjoignent les effectifs restant en Libye et au Soudan, et tous les efforts diplomatiques faits pour préparer d’autres pays à les rejoindre, comme la Guinée, le Tchad, peut-être demain la Tunisie.

Stratèges

Younous-Bek  Evkranov, le vice-ministre russe de la Défense, et le général du GRU Averyanov semblent bien être les stratèges désignés par Poutine pour reprendre en mains cette double offensive africaine : militaire, pour laquelle 40.000 hommes pourraient être déployés sous différentes formes, mais aussi économique avec tous les trafics induits (or, diamants, bois, spiritueux…).

Nouveau nom, nouveaux dispositifs, nouveaux chefs parfois. Mais pour quelle efficacité réelle au service de ces populations ? Rien de probant, si l’on en juge par la récente « hécatombe » de Mansila, le 11 juin dernier, dans le Nord-Est du Burkina Faso : 112 morts après l’attaque d’un détachement militaire par le GSIM, entraînant une fragilisation de la junte et de son chef Ibrahim Traoré. Prétexte idéal pour la Russie pour envoyer plusieurs dizaines « d’instructeurs » supplémentaires.  Et pendant que l’Africa Corps engrange des bénéfices, les fractures entre l’Afrique et l’Occident ne cessent de s’élargir.

Jean-Paul de Gaudemar

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