Aidons l’Arménie !

publié le 30/09/2023

Par François Hollande

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

J’ai participé, comme président, aux efforts déployés pour trouver une médiation dans le conflit qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Cette expérience me conduit à lancer un avertissement solennel : la justice et l’honneur imposent aujourd’hui à la France de tout mettre en œuvre pour venir en aide aux Arméniens. 

Notre pays entretient un rapport particulier avec ce peuple courageux. Jaurès fut l’une des grandes voix à la fin du XIXe siècle à dénoncer les massacres dont ils étaient les victimes au sein de l’empire ottoman. Plus tard après le génocide de 1915, la France fut le troisième pays d’accueil de la diaspora et les réfugiés et leurs enfants ont enrichi le creuset national. Notre pays fut aussi l’un des premiers à reconnaitre le génocide commis par la Turquie et à vouloir pénaliser les individus qui ici en niaient l’existence.

Enfin, lorsqu’à la fin de l’Union soviétique, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont accédé à l’indépendance et qu’une guerre les a déchirés pour le contrôle du Haut Karabagh, la France fut appelée comme la Russie et les États-Unis à garantir les accords qui avaient mis un terme au conflit. J’eus, comme Président à y veiller et à chercher, dans les moments de tension qui n’ont jamais vraiment cessé, une médiation.

Jusqu’en 2020, le statu quo avait pu, tant bien que mal être préservé. Il n’a pas résisté au surarmement de l’Azerbaïdjan et à l’encouragement prodigué par la Turquie à récupérer par la force les territoires qui avaient été occupés par l’Arménie après la guerre des années 90. Ce n’était que la première étape de l’offensive. Elle aurait pu s’arrêter là si la Russie, qui avait à la demande des deux parties, avait installé une force d’interposition de près de 3000 soldats, n’avait pas laissé faire, pour ne pas dire favorisé l’entreprise de reconquête de l’enclave du Haut Karabagh peuplée en totalité d’Arméniens.

Le retournement de la Russie, longtemps protectrice de l’Arménie, conjugue plusieurs motivations. La première c’est de permettre à Poutine de neutraliser Erdogan dont le rôle est majeur depuis la tentative d’invasion de l’Ukraine, à la fois pour l’évacuation des céréales du port d’Odessa et pour la fourniture des matériels militaires.

La seconde c’est de sceller une alliance d’intérêt avec l’Azerbaïdjan sur la question du gaz. La troisième c’est de punir le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan pour s’être émancipé de Moscou et s’être rapproché de l’Europe au nom de nos valeurs communes.

Le résultat de cette cynique volte-face est épouvantable sur le plan humanitaire. Les 140 000 Arméniens du Haut Karabagh cherchent à tout prix à fuir pour rejoindre leur mère-patrie et la grande majorité y est déjà arrivée. Les autres sont affamés, poursuivis et menacés. Leurs maisons sont abandonnées ou brûlées, leurs églises sont détruites.

C’est un nettoyage ethnique qui est en cours d’exécution. Il est à craindre pour la vie de beaucoup d’entre eux si la communauté internationale ne vient pas rapidement vérifier les conditions de leur maintien dans les lieux ou de leur évacuation. Mais le pire est à venir, car c’est l’Arménie elle-même, ce pays si précieux, mais si fragile, qui peut être atteinte dans son intégrité.

Tout y concourt. Vladimir Poutine qui échoue en Ukraine entend prendre sa revanche dans le Caucase. Il est décidé à montrer que l’Arménie, sans sa tutelle, risque de disparaître et qu’elle doit donc s’inféoder à la Russie pour préserver son existence. Erdogan, qui n’a pas renoncé à son rêve ottoman, pousse l’Azerbaïdjan à aller le plus loin possible dans son opération. N’est-il pas venu en personne fêter sur place la victoire avec le Président Aliyev ?

Quant aux Européens déjà privés du gaz russe, ils ménagent Bakou pour ne pas perdre une nouvelle source d’approvisionnement. Restent les Américains ! Ils font déjà beaucoup pour aider l’Ukraine, mais peuvent considérer que le Caucase est bien loin. Bref, l’Arménie est une fois encore, menacée d’un lâche abandon.

Y céder serait pour la France un déshonneur cruel, pour l’Europe un renoncement coupable et pour les États-Unis une concession majeure à Moscou. Il est donc temps de déclarer avec force et conviction que les frontières de l’Arménie sont sacrées et qu’elles doivent être garanties.

En raison de son histoire et de ses valeurs, la France doit se tenir en première ligne.