Annecy, Bordeaux : mensonges des démagogues, silence des progressistes

par Laurent Joffrin |  publié le 21/06/2023

L’extrême-droite ment. Mais la gauche ne peut pas se contenter de la dénoncer…

Agression Bordeaux - Capture video

La démagogie, outre qu’elle est scandaleuse, a le défaut rédhibitoire de brouiller toutes les questions. Ainsi de la révoltante agression de Bordeaux contre une dame âgée et sa petite-fille, survenue lundi dernier 19 juin.

Marine Le Pen : « Les images d’une petite fille et de sa grand-mère, agressées en plein jour à Bordeaux, sont insoutenables. Ces agressions sont quotidiennes et l’insécurité, aggravée par le chaos migratoire, devient endémique. Combien faut-il de vidéos comme celle-ci pour que le pouvoir réagisse ? ».

Éric Zemmour : « Quelle horreur ! Bordeaux aujourd’hui. Voilà ce qu’ils ont fait de notre pays. Français, réveillez-vous ! ».


Au lendemain des faits, la famille des victimes « est indignée par la récupération politique qui est faite de ce fait divers », selon le communiqué transmis à l’Agence France-Presse par leur avocate, Me Nadège Pain. Les proches dénoncent également « l’utilisation médiatique des images sans son accord explicite et sans le moindre respect pour l’identité des victimes ou leur vie privée ».


En effet, dans les deux déclarations des responsables d’extrême-droite, c’est l’immigration qui est accusée, en même temps que l’insécurité. L’ennui, c’est que Brahima B., le suspect interpellé, est un Français âgé de 29 ans, né le 12 juillet 1993 à Bordeaux. Français né en France, donc. Ainsi, soit Marine Le Pen s’est mal renseignée, ce qui est fâcheux pour une dirigeante nationale, soit elle a simplement déduit du prénom du suspect — de consonance musulmane — qu’il était étranger.

Erreur qui s’apparente à un réflexe raciste, chacun en conviendra : pour Marine Le Pen, si l’on est musulman, ou supposé tel, on n’est pas français…


Mêmes approximations dans le cas de l’agression d’Annecy, encore plus dramatique puisqu’il s’est agi de tentatives de meurtre au couteau contre de très jeunes enfants. Là aussi, la droite et l’extrême-droite ont mis en cause l’immigration en France, qui plus est clandestine. Or l’agresseur avait été légalement accepté dix ans plus tôt en Suède comme réfugié — et non en France — et les autorités françaises venaient précisément de lui refuser le séjour sur le territoire national. Aucun laxisme dans ces deux décisions…


Une fois l’émotion retombée, on s’aperçoit que dans les deux cas, l’agresseur est un homme vivant dans la rue, avec ou sans antécédents psychiatriques, mais connus de tous ceux qui les ont approchés comme des SDF à l’équilibre fragile. Ce qui renvoie, non à la question de l’immigration, mais au traitement réservé par les pouvoirs publics aux « sans domicile fixe », dont une bonne partie présente des troubles psychiatriques, mais qu’on laisse dans la rue au nom d’une doctrine désuète ou bien simplement par manque de moyens.

Et bien entendu, cette explication plus complexe, qui n’entre pas dans les cases définies à l’avance, passe inaperçue. Pourtant il faudra bien un jour aborder de front cette question, celle des SDF déséquilibrés qu’on laisse en circulation sans les soigner ni les isoler.


C’est aussi là que le piège se referme sur tous ceux qui cherchent à comprendre ces faits choquants avec le sens de la nuance et de la raison, c’est-à-dire de la vérité. En refusant d’imputer à l’immigration ces deux agressions barbares, ils ont raison. Mais pour être entendus, ils doivent aussi reconnaître, sans ambages, deux choses : à Annecy ou à Bordeaux, l’immigration n’est pas en cause. En revanche elle peut l’être dans d’autres cas. Les chiffres montrent qu’il existe en France une « surdélinquance » des étrangers, qui ne tient pas à leur qualité d’étranger, mais à la situation dans laquelle ils vivent.

Habitant souvent des cités-ghettos, frappés plus que d’autres catégories par le chômage, placés trop souvent sous la coupe de propagandistes djihadistes ou de parrains de la drogue, ils succombent plus que d’autres à la tentation de l’illégalité. Refuser de voir cette réalité, c’est s’interdire de lutter efficacement contre elle.


Si les deux affaires d’Annecy ne renvoient pas à l’immigration, sauf dans l’esprit malade ou cynique de Marine Le Pen et Éric Zemmour, elle implique en revanche celle de l’insécurité. Là encore, la prudence nécessaire à l’égard de telle ou telle affaire, le refus de céder aux réactions purement émotionnelles, ne doivent pas masquer la réalité du problème en France.

Les agressions violentes contre les personnes ont nettement progressé sur le moyen terme ; les « incivilités » sont légion, les refus d’obtempérer, les attaques contre les policiers, les violences contre les maires ou contre les professeurs, les féminicides, les agressions sexuelles, les discours de haine sur les réseaux, composent une réalité contre laquelle la gauche doit bâtir une politique crédible. C’est-à-dire commencer par voir les réalités en face.


Faute de quoi, en restant muette sur ces questions, elle laisse le champ libre aux mensonges des démagogues.

Laurent Joffrin