Antisémitisme : les jeunes en pointe

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 10/11/2024

Le mal progresse au sein de la population française, en particulier chez les 18-35 ans, et plus spécifiquement chez ceux de confession musulmane.

À Paris, le 17 juillet 2024, affiches vandalisées indiquant « Et si c'était votre enfant, retenu en otage par le Hamas depuis le 10/7/23, à 9 mois». (Photo d'Artur Widak / NurPhoto via AFP)

A quelques jours du match France-Israël au stade de France, les violences antisémites en marge de la rencontre entre l’Ajax-Amsterdam et le Maccabi Tel Aviv rappellent à quel point la situation est tendue. La France n’est pas épargnée : la recrudescence de l’antisémitisme y est préoccupante, comme le montre la hausse des actes antisémites depuis le 7 octobre 2023. L’étude publiée en octobre par la Fondation pour l’Innovation Politique dirigée par le professeur à Sciences Po Dominique Reynié vient le confirmer : l’antisémitisme frappe encore et toujours, et touche de nouveaux publics.

La radiographie de la Fondation met en lumière un double phénomène. À l’antisémitisme traditionnel, dit de « préjugés », qui manifeste son hostilité aux Juifs en les assignant à des clichés négatifs, s’ajoute désormais un antisémitisme qualifié d’« agressif », que l’on trouve surtout au sein des Français de confession musulmane. Une bonne partie d’entre eux jugent acceptable de s’en prendre physiquement à des individus en raison de leur judéité ou à des bâtiments qui leur sont liés.

Triste et angoissant constat. Pourtant les chiffres indiquent qu’une majorité de citoyens n’est pas antisémite ; les Français, à 80%, considèrent même que la justice ne condamne pas assez sévèrement les auteurs d’actes antisémites. Mais certains d’entre eux, parfois dans des proportions inquiétantes, partagent des jugements outranciers ou révisionnistes largement relayés par les réseaux sociaux et ravivés par le conflit israélo-palestinien.

La jeunesse française est le segment de la population le plus perméable. Exemples : 40% des moins de 35 ans considèrent qu’Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis, le chiffre montant jusqu’à 65% chez les jeunes de confession musulmane, contre « seulement » 32% chez l’ensemble des Français. De même, 40% des jeunes ont le sentiment que « la condamnation de la Shoah empêche l’expression d’autres drames de l’histoire », chiffre qui monte à 61% chez les musulmans, contre 32% pour l’ensemble des Français.

Sur certaines questions, les jeunes musulmans se distinguent, alors que les jeunes dans leur ensemble se rapprochent de la réaction moyenne des Français : les 18-35 ans de confession musulmane sont 26% à éprouver de l’antipathie à l’égard des juifs (contre 12% pour tous les jeunes et 6% pour l’ensemble de la population), 53% à affirmer que « les juifs sont plus riches que la moyenne des Français » (contre 34% et 31 %). Ils sont encore 53% à estimer que « les juifs ont trop de pouvoir dans les médias » (contre 28% et 24%) et 52% à juger que « les juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victime du génocide nazi pendant la seconde guerre mondiale » (contre 30% et 27%). Ce décalage montre qu’une forte proportion de jeunes musulmans forment dans ce domaine une catégorie à part.

Politiquement, ils sont une cible, notamment pour Jean-Luc Mélenchon, comme l’a dénoncé François Ruffin dans son livre « Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié ». Le discours du « lider maximo » instrumentalise à outrance le conflit israélo-palestinien, n’hésitant pas à tenir des propos à la limite du choquant. Chez les jeunes musulmans comme chez leurs aînés, il a trouvé une clientèle électorale qu’il chauffe à blanc. Ce n’est pas sans conséquence. Si l’antisémitisme de préjugé touche toutes les familles politiques (en particulier un quart des proches du RN, de LFI et de LR), l’antisémitisme d’agression est plus présent dans la gauche insoumise. « Taguer une synagogue ou un commerce juif pour manifester son opposition à Israël », par exemple, est jugé acceptable par 18% des proches de LFI (deux fois plus que la moyenne des Français). Quand la haine ne s’arrête pas aux préjugés…

Ce climat empoisonné va peser sur les échéances électorales. Les positions communautaristes de LFI divisent la gauche, embarrassant ses partenaires du NFP. Et le Rassemblement national, qui attire depuis toujours des antisémites traditionnels, se pose désormais en meilleur défenseur des Français juifs honteusement attaqués. Le gouvernement condamne tous les actes antisémites, mais peine à calmer le jeu. Bruno Retailleau veut remettre de l’ordre dans la société française. Mais il n’a pas encore trouvé la recette miracle pour remettre de l’ordre dans les esprits.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse