Antisémitisme : une honte française

par Laurent Joffrin |  publié le 09/08/2024

Les actes antisémites ont triplé en France d’une année sur l’autre. L’extrême-droite et l’extrême-gauche portent chacune leur part de responsabilité.

Laurent Joffrin

Un sentiment de honte… Prenant la parole lors de la commémoration du l’attentat de 1982 rue ses Rosiers, Gérald Darmanin a livré les derniers chiffres qui mesurent la hausse l’antisémitisme en France. Le diagnostic déjà posé se confirme : il s’agit bien d’une montée en flèche. Avec 887 actes enregistrés par le ministère, les agressions antisémites ont triplé d’une année sur l’autre, principalement depuis le pogrom barbare du 7 octobre dernier et le déclenchement de l’offensive à Gaza par l’armée israélienne.

Ainsi, en dépit d’une insistante pédagogie de la Shoah, du souvenir terrible des crimes de la Collaboration, des efforts sans cesse dispensés par l’école de la République dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, les Français juifs sont encore victimes de préjugés archaïques et scandaleux, qui dégénèrent de plus en plus en agressions verbales et physiques. Ainsi, quelque quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, plus de 80% des Français juifs, selon plusieurs enquêtes fiables, préfèrent souvent cacher leur religion, par crainte ou par souci d’éviter les incidents. Cet angoissant constat n’est guère glorieux pour la République ; il révèle aussi quelques réalités dérangeantes pour l’extrême-droite et l’extrême-gauche françaises.

On dira : pourquoi s’attarder plus sur l’antisémitisme que sur les autres formes de racisme, qui sont également en hausse dans la société française ? Pour une raison simple : quand on rapporte le nombre des agressions à la force numérique des différentes religions, on s’aperçoit que les Français juifs sont attaqués bien plus souvent que les autres. Un seul exemple : les agressions antijuives sont plus nombreuses en France que les actes antimusulmans, alors même que les Français juifs sont dix fois moins nombreux que les musulmans. Il y a donc bien là un phénomène spécifique, qui répand un sentiment de honte dans le pays de Zola, de Jaurès, de Jean Moulin et de Robert Badinter.

Cet antisémitisme a deux sources principales. L’une est pour ainsi dire traditionnelle : c’est la persistance de préjugés antisémites au sein de l’extrême-droite française. Certes les chefs de file du Rassemblement national et de Reconquête ont abandonné ce thème cher à leurs prédécesseurs nationalistes. Mais les enquêtes menés auprès des candidats RN lors des dernières législatives, ou parmi les militants de base, par Libération notamment, montrent qu’il existe toujours dans les profondeurs de ces deux partis un contingent notable de fachos revendiqués qui véhiculent une hostilité à peine dissimulée envers les Juifs. Le nationalisme français cherche à se « dédiaboliser ». Mais la base ne suit pas toujours et le sommet laisse manifestement faire tout en protestant de sa bonne foi. Autrement dit, l’idée selon laquelle ces formations sont désormais des « partis comme les autres » a été controuvée lors du dernier scrutin national.

La deuxième source de cette résurgence – mettons les pieds dans le plat – c’est l’islamisme en France. Très souvent les activistes, les prédicateurs, les militants islamistes réactivent un antisémitisme religieux traditionnel en islam. Une étude plus ancienne d’IPSOS montre que « les préjugés antisémites sont largement répandus au sein de la population musulmane, plus que chez l’ensemble des Français ». A cela, les islamistes ajoutent une hostilité meurtrière envers l’État d’Israël, exigeant que cet État fondé à la suite d’une résolution de l’ONU et reconnu par la plupart des nations du monde, soit purement et simplement rayé de la carte.

C’est là que l’extrême-gauche porte une part de responsabilité. En adhérant sans ambages aux thèses décoloniales, en passant des alliances tactiques avec tel ou tel groupe proche des islamistes, elle a rangé les Juifs dans la catégorie honnie des « dominants » et l’État d’Israël dans celle des nations coloniales. D’où le slogan naïvement repris par une partie de la jeunesse militante de gauche : « Libérez la Palestine, de la rivière à la mer ». D’où le discours « antisioniste » radical – qui rejoint ainsi l’antisémitisme – tenu par certains candidats de la France insoumise ou par les militants du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). D’où l’effarante déclaration de Jean-Luc Mélenchon, selon lequel l’antisémitisme serait « résiduel en France », au moment où il explose.

Pour éviter les conclusions catastrophistes, Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) relève aussi dans son rapport annuel publié en juin dernier que « l’indice de tolérance », qui mesure l’acceptation des différences de religion ou d’origine, reste « à un niveau élevé » (62%). Tout n’est pas perdu, donc, loin de là, et la France n’est pas un pays raciste. Mais comment nier, devant ce danger croissant, qu’une réaction vigoureuse et générale s’impose d’urgence ?

Laurent Joffrin